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Un Kocian intellectuel et virtuose.

, la Tchéquie au Corum

Quel bonheur de s'évader dans les contrées moraves aux sentiers broussailleux en compagnie de la fine fleur quartettiste, le rigoureux . Au menu, essentiellement des musiciens à la slavité prononcée : Dvorak, Smetana –incontournables – et deux victimes de la tourbe fangeuse nazie, appartenant au courant de la musique dite dégénérée. Et de s'embarquer pour un inoubliable voyage initiatique sur le Danube ; seul passager clandestin, le grand Schubert avec un quatuor inachevé, d'un seul bloc, une roborative micro-symphonie d'archets, emplie de sève viennoise typique de ce miniaturiste hors pair.

Le premier choc vient du Quatuor de Schulhoff, datant de 1924, une partition oppressante d'une cinglante poignance, confondante de virtuosité jamais factice ; avec de brutales brisures de rythmes et un lyrisme rugueux, âpre. Point de concession aux interprètes se coltinant des lignes mélodiques tortueuses, caillouteuses et rocailleuses. Ainsi, le mouvement introductif distille une tension suffocante, d'une touffeur tropicale, de subtiles harmonies moites et vénéneuses. Le deuxième est caratéristique de l'art très personnel de ce compositeur anticonformiste, une causticité et un esprit railleur « pince sans rire » pratiquant l'auto-dérision, puisque maltraitant avec délice la tonalité : écouter l'Allegretto con moto e con malinconia grotesca. Dans cette fresque scintillante et nébuleuse tout à la fois, Schulhoff joue des mille et une ressources de la technique violonistique pour construire une vaste étendue en perpétuelle effervescence sonore ; dans laquelle résonne la triple influence de Bartok, de Janacek et de… Schubert. L'Andante molto sostenuto, avec son doux bataillon d'harmonies rougeoyantes, ombreuses et crépusculaires est presque un testament musical – curieusement visionnaire de la part de qui serait un jour contraint de contempler la Liberté, la Vie et la Nature derrière les barbelés…

Encore une fois, et sans entonner un couplet par trop connu, il est inconcevable de se voir privé, dans les salles de concert, de son extravagant ballet Ogelala qui mêle ryhmes alla jazz, tango chaloupé et accords dégingandés. Quant à son singulier et post-baroque opéra Flammen à l'expressionniste sulfureux, le temps est venu de lui consacrer une place légitime ; il s'agit sûrement de son chef d'œuvre absolu, avec le Duo pour violon et violoncelle de 1925, dédié à son maître spirituel Janacek.

Le deuxième choc est asséné par un autre artiste maudit,  ; et il serait tout aussi urgent qu'une salle lyrique eût l'audace de proposer au public français timoré, dès que l'on le convie à emprunter des voies de traverse, Sarlatan, son opéra, modèle d'instrumentation atypique.

En l'occurrence, le Quatuor de ce brillant coloriste est une œuvre au charme austère qui rassemble des bribes de mélodies populaires, vaguement hébraïques sur un tempo incisif, nerveux et « percussif » ; lorsqu'apparaît ex abrupto une ode campagarde, une élégie paisible et nostalgique. Le Largo e misterioso est un doux arioso languide, méditatif, une source limpide, une sinfonia notturna à lui seul. Nimbé d'une brillance lunaire qui évoque, et ce, d'une façon très inattendue, un bijou signé Bernard Hermann, Au cœur du Silence – un hommage musical à Delius !

Enfin , ultime secousse, Smetana et son lyrisme passionné, éperdu, d'un dolorisme jamais complaisant, pour ce parfait sommet de la littérature chambriste, lequel entre de plain-pied dans le XXème siècle. Veritable lied sans parole, le Largo sostenuto est une complainte preque impudique d'une tension parfois ahurissante. Il donne naissance à une savante ascension vers la stridence du contre-mi, préfigurant la surdité qui allait s'emparer de façon irréversible du compositeur. Par ailleurs, ce mouvement rappelle indubitablement le « Chant de reconnaissance d'un convalescent à la Divinité » du Quinzième quatuor de Beethoven, en la mineur.

Un mot pour conclure, un simple constat : les concerts de 18h sont des moments de beauté volés à la médiocrité ambiante. Un autre exemple, éloquent : l'étourdissant duo Korcia/Ciocarlie, pianiste passionnée au jeu léonin, dans la troisième sonate d'Enesco ; et celle de Franck annonçant sa consœur quasi « symphonique » de Magnard. Surtout aprés un Rinaldo « Trash » littéralement massacré.

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