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« La Frontière », opéra de voyage de Philippe Manoury

Composé dans le cadre d'une résidence Carré Saint-Vincent à Orléans, le troisième ouvrage scénique de (1952) adopte la forme opéra de chambre.

Après 60e parallèle créé en 1998 au Théâtre du Châtelet, lui-même fruit d'une résidence à l'Orchestre de Paris, et K… en 2001 à l'Opéra de Paris, deux partitions à l'orchestre luxuriant agrémenté de l'informatique « en temps réel », le compositeur s'est tourné vers le petit format, plus facilement adaptable aux salles qui l'accueillent, mais faisant cette fois encore appel à l'informatique « live ». Succédant à un premier livret contesté de Michel Deutsch, écrit en français, puis à un second particulièrement réussi, adapté en allemand du Château de Kafka, La Frontière, qui retourne à la langue française, s'appuie sur un texte de Daniela Langer qui dérive d'un Maeterlinck archaïsant, et laisse étonnamment indifférent. Impossible en effet de s'identifier aux personnages, tous anonyme, si ce n'est au père, seul être véritablement bouleversant. Fondée sur la quête, la solitude et le cloisonnement, l'histoire contée par cet opéra de chambre de cent minutes pour six chanteurs, neuf musiciens et électronique en quatre tableaux précédés d'un prologue et suivis d'un épilogue, se déroule dans une zone frontalière séparant deux pays en guerre. Une Jeune Femme recherche son père. Chemin faisant, elle croise une Vieille Femme, sans doute sa grand-mère, deux jeunes gens qui vont bientôt tenter de la violer, un Jeune Homme dont elle tombe amoureuse et qui pourrait être son frère, puis un ermite, qui aurait pu lui avouer être son père, si elle avait songé à le lui demander. Se retrouvent ainsi, parmi plusieurs autres, les thèmes de l'incommunicabilité entre les êtres, de la quête du père et de l'inceste involontaire chers à Wagner, etc. Mais aussi cette valse singulière qui hante chaque ouvrage scénique de Manoury, et qui fait songer à celle de la scène du cabaret du Wozzeck de Berg.

Mesurée mais efficace, la scénographie conçue par le metteur en scène Yoshi Oïda et magistralement éclairée par Jean Kalman se limite à un quadrilatère muni de trappes métalliques qui dissimulent divers accessoires qui situent l'action. Les instrumentistes sont répartis de chaque côté du praticable dont ils sont séparés par un rang de projecteurs, quintette à cordes et piano MIDI à gauche, flûte, clarinette et percussion, à droite.

Le traitement du texte associe délibérément le récitatif monteverdien et la prosodie debussyste. Mais Manoury est surtout un magicien de l'orchestre et du son, cela quels que soient les effectifs dont il dispose. Ici, dirigé par ses soins, l'Ensemble Ictus sert l'œuvre à la perfection, tout comme , qui, du piano, donne à la partition sa pulsion dynamique et lance les séquences de synthèse sonore qui évoquent le contexte de l'action et les états d'âme des héros.

Difficile de juger en revanche de la qualité des chanteurs dans cet ouvrage qui laisse peu de place à la vocalité. Si l'on peut apprécier les aptitudes au bouffe maintes fois célébrées de , dont la voix manque de naturel, l'on ne peut que célébrer l'expressivité de dans le rôle de la Jeune Femme qui atteint son apogée dans les alliages de timbres aux colorations sordides dans la scène du viol. Mais le sommet dramatique et vocal de l'œuvre se place dans la quatrième scène, dans laquelle apparaît enfin l'Homme, interprété par un émouvant et rayonnant de noblesse.

1) Après Orléans et Strasbourg, La Frontière est les 10 et 12 octobre à Paris (Bouffes du Nord), le 15 octobre à Rome (Teatro Palladium), les 18 et 19 octobre à Clermont-Ferrand (Opéra), le 22 octobre à Rouen (Théâtre des Arts), le 24 octobre à Metz (Arsenal), et le 31 mars 2004 à Lausanne (Opéra)

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