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Le maestro aux mains nues et le clavier bien inspiré

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Dijon. Auditorium. 6.XI.2003. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano et orchestre N°2 en Sib M op. 83 ; Symphonie N°2 en Ré M op. 73. Nicholas Angelich, piano. Orchestre National de France, Dir. Kurt Masur.

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La venue, en mai dernier, des Berliner Philharmoniker, qui consacra s'il en était besoin l'Auditorium de Dijon, confère à cet « espace symphonique qualitativement privilégié » une sorte de label étoilé. Aussi, les mélomanes dijonnais, comme bien d'autres venus d'ailleurs, ne ressentent-ils plus automatiquement comme un événement la présence en la cité des Ducs d'un orchestre de quelque renom que ce soit. Oui, mais voilà : le National de France qui présida, il y a maintenant cinq ans – et presque jour pour jour – à l'inauguration de la « maison », tient une place de choix dans le cœur des gens d'ici… En témoigne la présence d'un public qui se presse en nombre à ce concert du jeudi 6 novembre : la salle – 1600 places – est quasi pleine. Il faut dire qu'outre l'affectionnée phalange nationale, trois autres « têtes d'affiche » ont tout lieu de séduire le mélomane local : Brahms (il fait toujours recette, le cher homme), (on est honoré et curieux d'accueillir ici le maestro venu de l'Est), et dont nul n'a oublié l'éblouissant récital – Brahms, déjà, et Ravel – donné en ce même lieu en septembre 2002. Bien disposé, ce public ? Assurément ; car à l'annonce qu'il n'entendra pas le 1er concerto en Ré m op.15, initialement programmé, mais le second (en Sib op.83) : point de murmures; sinon d'aise… le « Sib » compte manifestement force afficionados…

De fait, dès l'énoncé du premier thème au cor et les premiers arpèges du piano, le charme brahmsien opère… Cet auditoire est conquis : qualité du silence (on n'entendra tousser qu'entre les mouvements), sourires ravis qui s'esquissent sur les visages, regards hypnotisés par ces trois faiseurs de rêve : l'orchestre, le maestro, le pianiste… Et c'est ce dernier qui retient désormais l'attention. Les attaques sont franches, le phrasé limpide, l'intention expressive manifeste ; une démarche loyalement soutenue par Masur et L'ONF : pas le moindre sujet de discorde entre les trois partenaires… Cheminement sans faille dans le romantisme ardent et passionné des deux premiers mouvements, exempts de tout dramatisme, tout dolorisme. Le jeu des nuances et les « coloris » sont variés à l'infini. Cette sorte de mini double-concerto (piano/violoncelle) que constitue l'Andante est un pur moment de grâce : l'In paradisium de l'auditeur. On soulignera particulièrement le thème arpégé du piano sur contre-chant de clarinette et notes longues des cordes, servi ici avec une bouleversante tendresse, juste avant la reprise du thème au violoncelle, autre moment d'un « fondant » ineffable… l'Allegretto grazioso final nous comble tout autant : de l'entrée, quasi primesautière, au final brillamment enlevé, en passant par ce développement central si proche du Brahms des Danses Hongroises, l'admirable technique d'Angelich lui permet un jeu souverain, à hauteur duquel hisse aisément l'orchestre.

Le chef aux mains nues et à la tête chenue – puisqu'il s'agit de lui, à présent –, on l'attendait au tournant… Celui de la Symphonie N°2 en RéM. L'ex-Directeur du Gewandhaus de Leipzig, et qui – soit dit en passant – aura effectué en cette cité une carrière aussi longue, à quelques mois près, que l'illustre Cantor de Saint-Thomas, « tient » son monde et connaît – c'est peu dire – son Brahms…. Haute stature et profil de pasteur luthérien, Masur applique précisément la formule : » une main de fer dans un gant de velours » (si l'on peut ainsi dire d'une main « nue », c'est-à-dire sans baguette). Sa direction est ferme et précise ; le geste, parfois sec et nerveux, rappelant le regretté Solti, sait aussi s'arrondir et « sculpter » dans les masses sonores telle suavité lyrique ou poignante nostalgie que demande, ici ou là, la partition du génial mélodiste.

Tous les clichés encore attachés aux basques de la musique de Brahms : « lourdeurs » lyriques, germanismes « gonflants »…sont ici balayés. On se souvient peut-être de ce sketch de Francis Blanche (tenue d'officier SS, cravache en mains) : « on reproche à la langue allemande ses accents rudes et gutturaux ; mais pas du tout ! Ecoutez : (voix charmeuse de Roi des Aulnes et mimiques de ballerine) die kleine Vögel singen in den Bäumen… mais, en français, par contre, qu'est-ce que cela donne ? (aboiements outrés et grotesques, hautement caricaturaux de Feldwebel ou d'Obersturmbahnführer) : les betits soisseaux chan-teeent tans les sarpres ! ) Eh bien, la « démonstration » –caricature en moins – du chef allemand procède un peu de la même démarche : de même que la langue, la musique allemande sait – merveilleusement – faire «  chanter les oiseaux dans les arbres », encore qu'en l'occurrence, il ne s'agisse ici ni d'arbres, ni d'oiseaux, malgré la commune affirmation que cette deuxième symphonie serait à Brahms ce que la Pastorale est à Beethoven. Sans mièvrerie aucune, mais sans dramatisme à la Mravinski, Kurt Masur conduit l'œuvre dans un climat proche du Schubert de l'Inachevée (2e mvt). C'est assez frappant dans l'adagio non troppo ou l'allegretto grazioso, rejoignant la conception discographique de Bruno Walter ou Bernard Haitink : tempo e spirito giusto. Du côté des pupitres, la « rondeur » des cordes alliée aux timbres flatteurs des vents et la précision des percussions font merveille. L'Allegro final, habilement maîtrisé, dans ses contrastes rythmiques et dynamiques, magistralement enlevé, culmine en une commune et dionysiaque exultation.

Applaudissements nourris et nombreux rappels – amplement mérités – saluent cette plaisante et gratifiante exécution. Mais le Chef, courtois et souriant, demeurera cependant inflexible : pas la moindre « petite » Danse Hongroise (par exemple) naïvement espérée, en bis ! « Aimez-vous Brahms ? » La « saganesque » et célèbre interrogation, quand ce compositeur est servi par de tels interprètes, ne peut trouver, en écho, que large consensus chaleureusement positif.

Crédit photographique : (c) Chris Lee

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Dijon. Auditorium. 6.XI.2003. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano et orchestre N°2 en Sib M op. 83 ; Symphonie N°2 en Ré M op. 73. Nicholas Angelich, piano. Orchestre National de France, Dir. Kurt Masur.

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