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Présences nordiques à Radio France

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Paris. Maison de Radio France, Salle Olivier Messiaen. 15.XI.2003. Richard Dubugnon : Six nouveaux arcanes symphoniques opus 30 (Création mondiale). Magnus Lindberg : Concerto pour clarinette (Création française). Jean Sibelius : En Saga, poème symphonique opus 9 Jean Sibelius : Symphonie n°7 en ut majeur opus 105. Akari Kriikku (clarinette), Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck.

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Mettant en scène deux compositeurs finlandais, et , et une création mondiale de , ce concert de Radio France s'apparente à une avant-première du prochain festival Présences 2004. Son directeur René Koering a, en effet, exprimé son souhait parmi d'autres de mettre en valeur la musique nordique dans la programmation de cette saison musicale.

Né à Lausanne en 1968, le jeune Franco-Suisse a fait ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris entre 1990 et 1995 où il a étudié la contrebasse et la composition ; pour ensuite se perfectionner, puis enseigner, à la Royal Academy of Music de Londres. Un premier disque de musique de chambre paru chez Naxos cette année permettait déjà de découvrir la musique de ce compositeur-interprète, dont les œuvres symphoniques commencent à faire le tour du monde des salles de concert et des concours de composition.

Ses Arcanes symphoniques représentent les illustrations sonores des cartes ésotériques d'un jeu de tarot. Les cinq premiers Arcanes ont été créés ici même à Radio France lors du festival Présences 2002 et avaient laissé des impressions divergentes. Commande de Musique Nouvelle en Liberté, ces Six nouveaux Arcanes, dont le nombre définitif devrait s'élever à vingt-deux, peuvent tout aussi bien s'apparenter au portail d'une cathédrale gothique : chaque carte semble en effet symboliser les scènes figurant sur les tympans.

Le Jugement (XX) est annoncé par une armée de trompettes dans une atmosphère apocalyptique implacable et terrifiante. La Mort (XIII) est issue des fresques médiévales dans lesquelles les bataillons de squelettes engagent une hypnotique sarabande dans les brumes des violons glacials d'un cimetière, au milieu des claquements d'os des percussions et des rappels campanaires du jugement dernier. La Tempérance (XIV), vertu cardinale, représente le point d'équilibre de la cathédrale et semble une plaque tournante où se rejoignent dans les plateaux de la balance le Bien et le Mal. Le Diable (XV) est aussi protéiforme que malin, à la fois séducteur comme le joueur de Hamelin (beau solo de flûte introductif) et maléfique – il broie tout sur son passage et déchaîne les éléments, brûle, foudroie et fascine en même temps : véritable Janus à deux visages.

L'Amoureux (VI) est ivre de bonheur et de joie, il exulte au printemps dans le charme et l'allégresse d'un tourbillon de fleurs et de parfums. D'amour fou il est généreux, spontané, à la fois tendre et passionné, entraîné dans la valse des sentiments les plus magiques et straussiens. Le Soleil (V), majestueux et ample, se lève comme une aube nouvelle qui joue à cache-cache avec l'ombre des nuages, qui salue la nature et offre à nos oreilles émerveillées la verdeur et la force vive du matin. Brillant tel le char d'Apollon accueilli par les hommes comme un dieu bienfaiteur, cet arcane rejoint l'apothéose mystique du lever de soleil dans Jour d'été à la montagne de Vincent d'Indy.

Richard Dubugnon ne cache pas son envie d'écrire pour une scène d'opéra. Sa musique possède une remarquable palette d'atmosphères à cet effet. A travers des ambiances dignes d'une bande originale de film de Bernard Herrmann, ces Arcanes rejoignent aussi par l'intermédiaire d'Hollywood et de Korngold le lyrisme viennois chatoyant du début du siècle, pour évoquer finalement le sens du rythme et de la poésie de Prokofiev et de Ravel. Certes, quelques lieux communs ne sont pas évités (trombones pour le Jugement, cloche pour la Mort). Ce langage très expressif et engagé pourrait en outre apparaître à certains auditeurs comme peu novateur, voire banal et populaire, et son auteur comme un jeune opportuniste. Mais la sincérité et la sensibilité sont bien présentes et il serait difficile de blâmer une musique qui sait d'une manière aussi convaincante et enthousiasmante évoquer des images et des émotions aussi variées. Tant pis si son auteur ne s'inscrit pas dans une quelconque et illusoire logique progressiste de la musique. Les applaudissements constituent, telle la bataille d'Hernani, une lutte houleuse entre les anciens et les modernes… ou plus exactement entre les anciens modernes et les modernes anciens.

Beaucoup moins controversé, le compositeur finlandais (né en 1958) n'est plus un inconnu et s'est déjà produit à plusieurs reprises et avec succès sur les scènes parisiennes et mondiales. Son Concerto pour clarinette et orchestre achevé en 2002 se développe au sein d'un vaste mouvement unique d'une demi-heure où l'on reconnaîtra sans peine les procédés maintenant habituels du compositeur : un discours fluide et sans discontinuité, une écriture virtuose et volubile, un lyrisme permanent porté par une succession de petites cellules mélodiques et rythmiques ; et un choral final proclamé par les cuivres. Lindberg traite le concerto non dans son sens littéral, mais dans la vision brahmsienne d'une fusion des deux entités sonores. Le soliste s'immerge totalement dans l'orchestre en l'accompagnant d'un flux continu de trilles frénétiques et de gammes et d'arpèges en arabesques pour y émerger au travers de chaleureux épanchements lyriques.

La fusion devient complète lorsque la clarinette est rejointe par ses seules consoeurs de l'orchestre dans un trio chambriste. La longue et incandescente cadence finale permet au soliste de mener son instrument jusqu'à ses limites sonores dans un paroxysme aussi bien amené que musical. Le souffle sonore de la musique de Lindberg, similaire par endroits dans son atmosphère à celle de ses compatriotes Rautavaara et Sallinen, pourrait évoquer la brise sur la cime enneigée des vastes forêts du Nord ; la conclusion en rayonne comme un écho des feux ardents du Soleil de Dubugnon.

Depuis sa création il y a un an à Helsinki, le clarinettiste finlandais a déjà parcouru plusieurs pays d'Europe avec ce Concerto. Cet interprète familier de l'univers de Lindberg dégage une facilité et une aisance déconcertantes pour une partition aussi exigeante ; mais surtout, il semble montrer un réel plaisir à défendre et à communiquer cette œuvre, probablement l'une des plus directes et accessibles de son auteur. Il est à noter que Magnus Lindberg reviendra en personne à Radio France pour y interpréter son Concerto pour piano et orchestre lors du prochain festival Présences 2004.

La deuxième partie de ce concert propose deux partitions plus familières et extrêmes dans le catalogue du finlandais  : sa première œuvre purement symphonique, le poème En Saga (littéralement « conte », écrit en 1892 juste après la symphonie chorale Kullervo), et sa septième et dernière Symphonie (1924). De l'œuvre de jeunesse sauvage et intrépide au chef-d'œuvre en ut majeur, d'une probité spirituelle exaltée, Sibelius conserve dans sa musique un souffle populaire et légendaire, voire quasi patriotique pour En Saga. Le long solo final de clarinette de En Saga est un coup d'œil joliment programmé, quoique probablement involontaire, au concerto précédent de Lindberg. Le jeune chef d'orchestre finlandais , bien que dirigeant assis de sa chaise, maintient d'une main ferme, vigoureuse et précise une musique qu'il semble ressentir au plus profond de ses racines. Le geste est économe mais sait donner à cette musique les contours et la chaleur qui distinguent Sibelius d'un rhapsodisme statique et froid. L' montre une nouvelle fois ses qualités de justesse et d'engagement physique.

On attend avec impatience dans cette même salle en février prochain la création française du Concerto pour flûte « Aile du Songe » de Kaija Saariaho, autre grande compositrice finlandaise actuelle ; couplée avec la création mondiale de la Chaconne de Thierry Escaich, lui aussi jeune compositeur français en vue – et à l'esthétique tout aussi controversée.

Crédit photographique : (c) Gaël Bétant, 1992

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