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Paris. Maison de Radio France. Salle Olivier Messiaen. 31.I.2004. Karin Rehnqvist : Lumière, source de lumière (Création mondiale). Juhani Komulainen : Mysterium (Création mondiale). Philippe Hersant : Concerto pour violon (Création mondiale). Guillaume Connesson : Athanor (Création mondiale). Virginie Pesch (soprano), Nigel Smith (baryton), Augustin Dumay (violon), Maîtrise de Radio France, Adolf Fredriks Flickkör, Oulaisten Nuorisokuoro, Chœur de Radio France, Orchestre National de France, direction : Jonathan Darlington.

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Démesure du programme avec pas moins de quatre créations mondiales, dont deux très attendues (Hersant et Connesson), pour un concert d'une durée totale de deux heures un quart.

Démesure du public enfin qui, une heure avant le concert, avait rempli intégralement la salle Olivier Messiaen de Radio France, avec en outre une affluence notable de la presse internationale, le tout pour un service d'ordre et un service de presse un peu bousculés par le succès de l'événement.

Musicalement, ce concert pouvait apparaître comme le miroir du concert d'ouverture : deux œuvres nordiques pour chœurs d'enfants, un Concerto pour violon de , renvoyant à son ravélien Concerto pour piano donné la veille par une Alice Adler à la tenue très années 30, et enfin une grande fresque chorale, Athanor, de , répondant à la tonitruante Troisième symphonie de Carl Nielsen.

La première partie était placée, comme le dans son entier, sous le double patronage des musiques nordiques et de . Le triptyque Lumière, source de lumière de la compositrice suédoise Karin Rehnqvist (née en 1957) est dédié à la mémoire d'Anna Lindh, la Ministre des Affaires Etrangères de Suède assassinée en septembre dernier, alors que le compositeur était en pleine élaboration de cette œuvre. Bien que n'étant pas une réaction directe mais plutôt un hommage, cette musique est une lente imploration, comme une longue montée vers la lumière. La première partie, Scintillant, prend sa source dans des poèmes de J.-O Wallin et B. S. Ingerman. Sur des nappes glissantes de cordes, un soleil se lève à travers le brouillard, deux trompettes placées aux extrémités de la salle, ainsi que les vents, tissent un contrepoint au chant aérien et épuré du chœur d'enfants suédois Adolf Fredriks Flickkör. Cette sorte de psalmodie médiévale est suivie d'un mouvement dramatique, Irrésistiblement sombre, débutant sur les timbales, le gong et les cordes graves. Le chœur s'obscurcit jusqu'à crier des glissandos abruptes puis se déstructurer dans un brouhaha de paroles pour finalement être englouti dans un trou noir. La troisième partie, Intensément lumineux, s'ouvre solennellement par trois trompettes, rejointes par un trombone lui aussi isolé de l'orchestre. La progression vers la lumière est sereine et la musique atteint une dimension sacrée par les citations extraites des Psaumes et des Proverbes. Ces quinze minutes de musique s'avèrent particulièrement émouvantes, d'une cohérence totale avec A l'ange aux mains brûlantes présentée la veille. Elles sont le reflet d'une sensibilité intense.

La seconde œuvre au programme, Mysterium, du compositeur finlandais Juhani Komulainen (né en 1953), fait appel à deux chœurs d'enfants, le chœur finlandais Oulaisten Nuorisokuoro et la maîtrise de Radio France. Les paroles se basent uniquement sur les mots « Mysterium » et « A l'ombre de la Seine ». Un vent du nord souffle sur cette partition de douze minutes. Le mouvement est ample et soutenu. Les voix des enfants sont relayées par une flûte solo, des arpèges égrenés au piano et le chuchotement des vents et des percussions. Ces envolées de bourrasques lyriques sur les neiges glacées de l'hiver nordique peuvent rappeler les paysages actuels du compositeur finlandais Einojuhani Rautavaara. L'écriture possède une fluidité envoûtante et une sensualité reposant sur de belles harmonies réfléchies par les cordes. On appréciera particulièrement ici le chœur finlandais dont les tenues colorées tranchent avec les costumes uniformes à la mode chinoise de la Maîtrise de Radio-France.

Le Concerto pour violon de (né en 1948) fut composé à la demande d' et trouve sa réalisation dans la présente commande de Radio France. Construit en un seul et vaste mouvement de vingt-deux minutes, ce concerto répond exactement au credo actuel de son auteur qui préfère écrire avant tout une musique « personnelle » et non « innovante à tout prix ». Ce principe, qui va à l'encontre d'une « modernité bien pensante », devrait être celui de tout compositeur actuel désireux de s'exprimer dans un style répondant à sa sensibilité, quelle que soit l'esthétique résultante au final. Délaissant les stéréotypes du genre, Hersant écrit un concerto pour violon intime où la virtuosité de démonstration est absente, même dans la cadence finale où les vents, menés par le basson, rejoignent petit à petit dans un climat très poétique le soliste. Ce concerto n'est pourtant pas dénoué de souffle, on n'y sent encore le climat tempétueux et héroïque des Hurlevents d'Emily Brontë que son auteur avait mis en ballet l'année dernière à Paris. Tournant autour d'un thème unique et de la note de mi, cette rhapsodie nous transporte cependant au milieu de toute une gamme d'émotions et de paysages se développant et se miroitant sur eux-mêmes. L'écriture a beaucoup d'attraits romantiques et d'élans passionnées mais ne sombre jamais dans une quelconque parodie de la musique de l'entre-deux-guerres. C'est bien la force de Philippe Hersant que de composer une musique si bien ancrée dans le passé et pourtant si personnelle et actuelle. Le langage cohérent et le résultat est d'une beauté remarquable. s'implique totalement dans cette partition, soulignant avec grâce, malgré son énergie de colosse, toutes les nuances chaudes et patinées comme du velours de cette musique.

La deuxième partie du concert, l'oratorio Athanor pour soprano, baryton, chœur mixte et orchestre de (né en 1970) est le fruit d'une nouvelle et jeune génération de compositeurs français. Malgré son jeune âge, Connesson n'est pas un total inconnu, du moins du public de Radio France, puisque Supernova fut donné à Présences 2001 et que son triptyque L'appel du feu fut joué ici même à l'automne dernier par « son » Orchestre National des Pays de la Loire où il est actuellement en résidence (avec les compositeurs Bernard Cavanna et Jean-Louis Florentz). Il est curieux de trouver une œuvre d'une quarantaine de minutes aussi ambitieuse sous la main d'un compositeur qui proclamait encore récemment que son but était de composer « dix minutes de musique géniale ». Connesson s'est inspiré de textes d'alchimistes grecs et latins et d'un poème de O.V. Lubric Milosz. Le sujet est tantôt païen sans vraiment l'être, tantôt chrétien sans l'être aussi, tantôt primitif sans l'être absolument, tantôt poétique sans l'être non plus totalement. En cela, cette fresque chorale pourrait évoquer les Carmina burana de Carl Orff, mais elle n'en possède peut-être pas la nouveauté fulgurante et inclassable, et tel n'en n'est certainement pas l'objectif. s'appuie clairement sur un langage tonal et mélodique. La virtuosité orchestrale et le sens du rythme de son écriture peuvent faire penser à des compositeurs comme Heitor Villa-Lobos, Léonard Bernstein et John Adams. Non fermé aux musiques populaires, ni à celles du passé, Connesson n'apparaîtra pas, dans une vision progressiste de la musique, comme un compositeur fort innovant, mais sa maîtrise est incontestable, sa sincérité indéniable, et son sens de la construction dramatique est remarquable.

Athanor est découpée en trois parties et neuf numéros. Le chœur initial est un hymne primitif et massif secoué par une pulsation en syncope typique de son auteur et qui aboutit au final à un état paroxystique. Le deuxième numéro est un tendre duo entre l'Adepte (baryton) et sa femme Béatrix (soprano). L'harmonie, l'orchestration et la ligne mélodique pourront aussi bien faire penser à du Poulenc qu'à un quelconque opéra vériste. Ce n'est certes pas très original, mais remarquablement bien fait. Le chœur suivant reprendra la véhémence introductive. Cette danse incantatoire fourmille d'effets orchestraux ponctuant chaque vague sonore de traits vertigineux jaillissant d'une sorcellerie médiévale. Une puissance antique et mystérieuse bouillonne dans cette atmosphère païenne et cette première partie se conclut dans des grondements impressionnants. La seconde partie voit le retour apaisé des solistes, soutenus pas les chœurs. Après un point culminant faisant de nouveau appel à toute la puissance machinale de l'orchestre, le chœur conclut a cappella dans une dépouillement austère. La troisième partie est une lente montée vers la lumière, celle qui illuminait au début même de ce concert. Moins violent et frénétique, le discours est plus majestueux dans sa démarche. Une force créatrice pénètre cette musique et donne naissance à une péroraison grandiloquente.

Athanor est une partition très séduisante et impressionnante, mais, dans une première impression, elle reste dans son intérêt un ton en dessous des œuvres purement symphoniques de son auteur. Le chant semblerait presque brider l'orchestre dans sa fougue et sa fantaisie. Il n'est pas toujours aisé de retrouver cette invention et cette luxuriance qui avait pu tant enthousiasmer dans Supernova et L'appel du feu. Cette partition profondément noble et classique, aux tournures parfois un peu anachroniques, est remarquable mais reste peut-être encore un peu trop sage malgré les masses sonores déployées. et n'ont pas eu trop à forcer leur talent dans une partition qui ne les mettait guère techniquement en danger, mais qui montrait plutôt leur sensibilité. Le Chœur de Radio France et l' se sont pleinement investis dans cette création mondiale, maîtrisant jusqu'au bout l'énergie physique que requiert ce vaste projet. Détail tout secondaire, on regrettera juste, un soir après avoir accueilli dans cette même salle Olivier Messiaen un orchestre danois, le manque de rigueur et de goût des tenues vestimentaires des musiciens et des choristes français. De même, on regrettera le manque d'éducation de quelques excités en mal de vivre criant avant même la fin de l'accord final leur intolérance la plus barbare et primitive. Le public répondra par un véritable éloge à Guillaume Connesson.

Crédit photographique : Photo (c) Marion Kalter

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