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Paris. Maison de Radio France. Salle Olivier Messiaen. 27-II-2004. Thierry Escaich : Chaconne pour orchestre (Création mondiale). Kaija Saariaho : Aile du songe, concerto pour flûte (Création française). Serge Prokofiev : Symphonie n°3 en ut mineur op44. Camilla Hoitenga (flûte), Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Christian Gansch.

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Tout juste deux semaines après la fin du festival Présences 2004 la musique contemporaine revenait à l'honneur à Radio France avec en première partie de concert deux créations ( et ) suivies d'une Troisième symphonie de Serge Prokofiev toujours aussi actuelle dans son expression tourmentée.

La Chaconne pour orchestre de (né en 1965) fut annoncée tout d'abord au programme du festival Présences 2003. Finalement, la première exécution de cette nouvelle œuvre symphonique eut lieu juste après l'édition 2004. Organiste réputé de Saint-Étienne-du-Mont à Paris, improvisateur hors norme, le jeune compositeur français s'est fait plus largement connaître du public grâce à son Concerto pour orgue, sa Fantaisie concertante pour piano et orchestre et sa Première symphonie, trois œuvres symphoniques qui furent réunies sur un disque acclamé par la critique et qui montrait aussi bien la maîtrise orchestrale de son auteur que son goût pour les formes amples et développées.

Le choix d'une forme aussi classique et contraignante que la chaconne peut surprendre en ce début de XXIème siècle. Mais pour Escaich, héritier de l'orgue de Bach et familier des variations improvisées sur une basse donnée, cette forme est un moule naturel dont il cherche à atteindre les limites, non pas techniques, mais expressives. Le caractère obsessionnel, pour ne pas dire litanique, de la musique d'Escaich (on pense par exemple à ses Litanies de l'ombre pour piano), fait progressivement éclater la forme de la variation en un vaste poème symphonique linéaire de 23 minutes. L'introduction de la Chaconne sonne comme un glas. Le thème apparaît progressivement et passe, tel un serpent de mer, d'un instrument à l'autre. Ce thème s'apparente à un motif modal ascendant et descendant aux tournures singulièrement expressives. L'univers de Thierry Escaich, inquiet, sombre, morbide, frissonnant d'angoisse et agressif, se retrouve ici pleinement exprimé. L'œuvre est construite en arche, avec une introduction, un interlude et une conclusion mystérieux et lents, entrecoupés par deux grands crescendos violents. Le climat romantique des harmonies et de l'orchestration (hypnotiques gouttelettes en suspension au vibraphone dans la partie centrale) est renforcé par des oppositions frénétiques et des superpositions envoûtantes des éléments rythmiques et mélodiques. Le deuxième crescendo, basée sur les percussions et le piano, nous emmène dans une danse macabre, valse syncopée tournoyante qui est davantage le reflet d'un sentiment apocalyptique intérieur plutôt qu'une recherche d'effets massifs. La Chaconne pour orchestre de Thierry Escaich n'est pas un simple exercice ni une démonstration orchestrale et technique, mais une œuvre profonde et insondable, qui naît et meurt dans le néant, après avoir vécu et lutté à la recherche d'un nirvana extatique et hors du temps.

(née en 1952) est certainement, avec son compatriote Aulis Sallinen, le compositeur finlandais le plus francophile. En effet, elle vit et travaille à Paris depuis son passage à l'Ircam en 1982. Son attachement pour la culture française se retrouve tout au long de ses œuvres : la peinture avec Monet (Nymphéa pour quatuor à cordes) et Gauguin (NoaNoa pour flûte solo), et la littérature avec Saint John Perse (Amers et Près pour violoncelle). Vingt ans après Laconisme (pour flûte solo), le concerto pour flûte Aile du songe prend lui aussi son inspiration dans le recueil de poésie Oiseaux de Saint John Perse (1962). Ce récent concerto (créé en 2001) est né d'une étroite collaboration avec la flûtiste américaine Camilla Hoitenga qui en assura la création française lors de ce concert. On ne peut rêver, c'est le bien mot, d'interprète plus inspirée et plus à son aise dans ce concerto, volontairement très virtuose dans son second mouvement et utilisant tous les registres expressifs et techniques de la flûte. La personnalité forte et malicieuse de Camilla Hoitenga fit merveille ici et conquit le public. Il n'y a pas de doute, Saariaho sait s'entourer des meilleurs interprètes pour exprimer sa musique. On se souvient par exemple de sa collaboration avec la soprano Dawn Upshaw pour le Château de l'âme, Lonh et son opéra L'Amour de loin (donné au Théâtre du Châtelet en 2001). Saariaho a aussi travaillé avec Gidon Kremer lors de son concerto pour violon Graal théâtre, ainsi qu'avec son compatriote Anssi Karttunen pour le concerto pour violoncelle Amers.

A l'inverse d'Olivier Messiaen, qui magnifiait avant tout la richesse du chant des oiseaux, Saint John Perse, et par là même Saariaho, s'appuie sur l'image de liberté du volatile. « Dans sa double allégeance, aérienne et terrestre, l'oiseau nous était ainsi présenté pour ce qu'il est : un satellite infime de notre orbite » (Saint John Perse). De ce vers est né la découpe en deux mouvements du concerto : Aérienne et Terrestre. La musique devient alors un espace complètement atemporel et sidéral, la flûte ressent les états d'âme de l'oiseau au milieu de mouvements aléatoires, de soubresauts et de virevoltantes trajectoires. On retrouve dans ce concerto le même environnement musical que celui de l'opéra L'Amour de loin, environnement fait de nappes interstellaires et de vagues frémissantes. L'orchestre est composé uniquement des cordes, de la harpe, du célesta et de trois percussionnistes. La deuxième partie de l'œuvre, sorte de danse rituelle et incantatoire inspirée d'un conte aborigène, est une intrusion passagère de la barbarie dans un monde hiératique, presque antique dans ses mélismes. Ce concerto est d'une beauté insaisissable, on sent passer le souffle et les détails infinitésimaux sur lesquels, quasi inconsciemment, s'appuie l'oiseau. Comme dans un rêve, les réverbérations du son et les résonances de l'orchestre portent vers l'horizon lointain une flûte qui s'est faite oiseau, « seul à doter l'homme d'une audace nouvelle » (Saint John Perse).

La seconde partie du programme, avec la Troisième symphonie de Serge Prokofiev, prenait quasiment une allure de grand classique par rapport aux deux créations précédentes. Et pourtant, on regrettera presque toujours que le succès de la Symphonie classique, œuvre réjouissante mais partiellement représentative de son auteur, ait éclipsé dans les salles de concert les six grandes symphonies suivantes. Serge Prokofiev avait l'habitude d'extraire de ses opéras, ballets et musiques de film, des suites pour orchestre compatibles avec une salle de concert. Il est ainsi toujours amusant de noter que trois des partitions les plus célèbres de son auteur, Alexandre Nevsky, Le Lieutenant Kijé et la Suite scythe ne sont finalement que des suites extraites d'œuvres originales. La suite que Prokofiev tira de son opéra L'Ange de feu en 1928, lors de son séjour français, devint de manière inattendue une nouvelle symphonie, la troisième de son auteur. Si cette symphonie n'est pas aussi populaire que la première, la fameuse Symphonie classique, ni aussi grandiose que la cinquième (une véritable « symphonie de guerre »), ni aussi géniale que la sixième (un gouffre impénétrable), elle reste une réussite incontestable par son lyrisme envahissant et son caractère dramatique directement hérité de l'opéra sulfureux dont elle est issue. Le jeune chef autrichien donne à cette partition la même linéarité et la même continuité qu'il avait su insuffler lors de la première partie du concert aux œuvres de Thierry Escaich et de . Il évite toute rupture du discours en enchaînant les bourrasques de soufre de cette symphonie avec les grandes mélodies si belles et si caractéristiques de Prokofiev afin d'en souligner les contours lyriques intensément pénétrants. L' répond présent à l'engagement certes mesuré mais cohérent de son chef invité, notamment à travers les nombreux solos (le premier violon d'Elisabeth Balmas) toujours aussi remarquables.

Credit photographique : (c) DR

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