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Le Postillon de Longjumeau : Chouette cocher !

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[Dijon] Grand-Théâtre, le 30.III.2004. Adolphe Adam (1803-1856) : Le Postillon de Longjumeau (1836), opéra comique en trois actes ; livret de De Leuwen et Brunswick. Avec : Bruno Comparetti (Chappelou / Saint-Phar), Isabelle Poulenard (Madeleine / Mme de Latour), Laurent Alvaro (le Marquis de Corcy), Jean Vendassi (Bijou / Alcindor), Michèle Dumont (Rose), Matthieu Grenier (Bourdon). Mise en scène : Patrick Abéjean ; Décors : Claude Stéphan ; costumes, éclairages : Patrice Gouron ; chef de chant : Maurizio Prosperi ; chef de chœur : Bruce Grant ; coproduction : Opéra Paris-Sud et Le Duo / Dijon. * Chœurs et orchestre du Duo/Dijon ; Direction musicale : Philippe Cambreling.

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« Oh ! Qu'il est beau, qu'il est beau… » Non, non ! Vous n'y êtes pas : le postillon de Longjumeau, voyons ! , exact contemporain de Berlioz (tous deux sont nés en 1803), dont les seuls succès vraiment populaires se limitent aujourd'hui à son ballet Gisèle et au fameux cantique Minuit, chrétiens ! (qu'il traîne comme une casserole aux yeux de ses pairs), s'est, en outre, souvent vu taxé de facilité, de mauvais goût pour ne pas dire vulgarité .

postillon_dijon-300x400Mais n'en disait-on pas autant, à la fin du siècle – de son siècle – et aujourd'hui encore, des Offenbach, Lecocq et autres Planquette ? Comme s'il était de tradition, pour une certaine Intelligentsia lyrique de suspecter de faiblesse et donc de mépriser toute musique susceptible d'engendrer le sourire. Disons-le d'emblée : au vu (et à l'écoute) de ce spectacle, Adam mérite notre estime et une légitime réhabilitation. Nos voisins allemands ne s'y sont pas trompés qui ont toujours prêté au Postillon une oreille favorable. Ainsi, l'acteur-réalisateur Carl Lamac, l'adaptait-il au cinéma en 36 et, dans le même temps, l'air du Postillon devenait un « tube » très populaire, véhiculé par la voix du chanteur Joseph Schmidt. (Rappelons cependant que ce dernier, juif, devait malheureusement périr en déportation, en 42). Récemment encore (en Août 2000), Le Postillon de Longjumeau était monté au Staatsoper de Berlin, dans une distribution allemande, sous la direction de .

De quoi s'agit-il, au juste ? L'argument de la pièce est simple : le soir de ses noces, Le postillon Chappelou, doté d'une belle voix de ténor et Don Juan à l'occasion, est remarqué par le marquis de Corcy qui le convainc de le suivre incontinent à Paris pour y faire carrière et fortune… . Dix ans plus tard, l'épouse abandonnée (Madeleine Birotton), devenue à la suite d'un héritage, la belle, riche et courtisée Madame de Latour, tient sa vengeance : Chappelou, célébrité lyrique connue sous le nom de Saint-Phar – et, bien évidemment, tombé amoureux de Mme de Latour – est menacé d'une accusation de bigamie. Tout s'éclaircit cependant dans la joie et le pardon réciproque. En fait, c'est tout l'esprit du vaudeville qui éclate ici, verve et rythme y afférent, et la musique en plus… . Le metteur en scène, Patrick Abéjean, remarque à juste titre que « cette fable, écrite en 1836 – cent ans avant les congés payés ! – pourrait aujourd'hui nous paraître désuète ». Mais, malicieusement (sa mise en scène accumule les clins d'œil dans le sens d'une « actualisation » des situations), il pose les bonnes questions : «  – croit-on encore aux destins fabuleux ? – Un inconnu peut-il devenir une vedette du jour au lendemain ? – Un homme peut-il encore abandonner sa jeune épouse pour suivre quelqu'un qui lui promet monts et merveilles ? – Les chanteurs lyriques sont-ils capricieux ? – Les choristes font-ils encore grève ? »

Autant de questions qui se posent effectivement dans l'opéra comique d'Alphonse Adam, et auxquelles on répond par l'affirmative. Pour ce faire, les décors de Claude Stéphan, les costumes et éclairages de Patrice Gouron apportent un concours efficace, en jouant essentiellement sur l'allusion et le contraste. Contraste accusé, par exemple, entre la laideur prosaïque des décors de l'acte I, symboles d'une France « d'en-bas » dans laquelle carrosse et marquis, comme tombés du ciel, atterrissent littéralement, ( l'enseigne de l'auberge, qui évoque davantage la boucherie-chevaline que l'auberge de campagne, le prosaïsme conventionnel de la pièce montée ou de la robe de mariée « Prix-Unic » ), et celui, raffiné, de l'acte II, dans les appartements ou les jardins de Mme de Latour. Quant au décor de l'acte III, c'est une bien malicieuse idée que ces panneaux aux affiches de « La veuve Joyeuse » ou d'une sélection de programmes des Galas Karsenty, derrière lesquels se déroule l'étourdissant jeu de cache-cache qui permet à de passer instantanément du rôle de Madeleine à celui de Mme de Latour.

Si la mise en scène est séduisante, la direction d'orchestre – et l'orchestre lui-même – le sont tout autant. Philippe Cambreling (frère cadet de Sylvain), ex-lauréat du Concours international de chefs d'orchestre de Besançon (1981) et qui connaît une belle carrière de chef invité, est venu pour l'occasion en voisin, depuis son fief de Chalon/Bourgogne, pour diriger l'orchestre du Duo/Dijon, lequel s'adapte remarquablement à toutes les « baguettes » qui lui sont présentées. Ph. Cambreling, avec aisance et autorité, prend manifestement plaisir à diriger cette œuvre. L'entente avec les musiciens semble parfaite. Que soit donné, au passage, le coup de chapeau que mérite tout particulièrement l'harmonie de l'orchestre : la partition sollicite en effet fréquemment les vents, dont la prestation déploie musicalité et virtuosité.

Les chœurs, bien « enlevés », manifestent une belle qualité d'homogénéité et d'articulation.

Les chanteurs-acteurs, remarquablement bien dirigés, se révèlent, dans l'ensemble, excellents comédiens. Mention spéciale décernée à Michèle Dumont (Rose), désopilante servante venue-des-îles (dans sa caisse « Par Avion »…l'action étant censée se dérouler sous Louis XV…), à (Le marquis de Corcy), magnifique comédien (et quelle voix superbe !) qui donne à son rôle une épaisseur «  alla commedia francese », et à Jean Vendassi (Bijou/Alcindor, l'ami du Postillon), vocalement de belle prestance et véritable auguste de clown blanc.

, délicieuse de rouerie mutine fait preuve d'une belle aisance vocale et maîtrise superbement son difficile double rôle. Quant au rôle-titre, , en ténor léger, le défend plus qu'honorablement. Les passages en voix de tête s'opèrent sans heurt et le fameux contre-Ré du grand Air passe sans peine. En dépit d'un certain manque de puissance, particulièrement dans le médium du registre, face aux puissants organes des barytons et Jean Vendassi, sa prestation, servie par un timbre agréable, rencontre la faveur du public.

« Oh ! qu'il est beau, qu'il est beau, le postillon de Longjumeau… » ?  Pas seulement, beau : il est bel et bon !

Crédit photographique : © DR

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[Dijon] Grand-Théâtre, le 30.III.2004. Adolphe Adam (1803-1856) : Le Postillon de Longjumeau (1836), opéra comique en trois actes ; livret de De Leuwen et Brunswick. Avec : Bruno Comparetti (Chappelou / Saint-Phar), Isabelle Poulenard (Madeleine / Mme de Latour), Laurent Alvaro (le Marquis de Corcy), Jean Vendassi (Bijou / Alcindor), Michèle Dumont (Rose), Matthieu Grenier (Bourdon). Mise en scène : Patrick Abéjean ; Décors : Claude Stéphan ; costumes, éclairages : Patrice Gouron ; chef de chant : Maurizio Prosperi ; chef de chœur : Bruce Grant ; coproduction : Opéra Paris-Sud et Le Duo / Dijon. * Chœurs et orchestre du Duo/Dijon ; Direction musicale : Philippe Cambreling.

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