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Itinéraires mystiques

Représentant majeur de la musique de l'Autriche du sud, (1644-1709) arrive en 1670 à Salzbourg, l'un des bastions les plus actifs de la contre-réforme où le culte marial est particulièrement fervent. Au service de l'archevêque Gandolf qui est sur le point d'entrer dans la confrérie du Rosaire, Biber entreprend de mettre en musique les Mystères de Marie (1698), soit quinze Sonates pour violon et basse continue illustrant le récit biblique de la vie de la Vierge, de la Visitation au Couronnement. Elles sont regroupées par cinq selon l'ordonnance suivante :

1. Les Mystères joyeux du Rosaire
2. Les Mystères douloureux du Rosaire
3. Les Mystères glorieux du Rosaire

Sous la double influence française et italienne, Biber fait alterner ou mélange dans une même Sonate les mouvements de danse avec leur double très orné et les airs variés à l'italienne dont l'élan virtuose et la luxuriance des sonorités devaient, en ces temps de contre-réforme, élever l'âme des fidèles vers les splendeurs de la gloire divine. L'écriture en double cordes et l'usage quasi permanent de la scordatura (modification de l'accord du violon) suscitent sur l'instrument des combinaisons ingénieuses et inédites stimulant l'invention du compositeur. Et si Biber se laisse guider par les titres évocateurs des Sonates, il n'emprunte jamais la voie de la « musica rappresentativa », préférant la spéculation sur le nombre, garant d'un ordre secret à l'image de la perfection divine.

A la tête de son ensemble La Tempesta, se lance dans cette aventure avec une aisance et un élan jubilatoire qui forcent l'admiration. Superbement mis en valeur sans jamais rompre l'équilibre avec l'ensemble, son violon s'impose par la clarté du discours et la justesse de l'articulation. Recherchant la nuance colorée sur les cordes en boyau de son violon baroque, Bismuth sait aussi obtenir le velouté de la sonorité dans les arie expressifs et l'ampleur de la résonance dans les préludes les plus éloquents. Si l'on considère à sa juste dimension la part de l'interprète dans une telle partition, il faut saluer chez ce maître du violon l'art de la « Fantaisie » prise au sens étymologique allemand d'improvisation (phantasieren) qui se manifeste avec un plaisir communicatif à chaque détour de la phrase : diminutions alertes, guirlandes de notes décoratives, tournures ornementales enrichissent le discours avec la grâce et l'élégance du « bon goût ». Règne également en maître l'esprit de contraste qui fait alterner les tempi, renouvelle l'énergie, varie les textures et les caractères sans céder au maniérisme. La variété des timbres instrumentaux requis pour le continuo (violoncelle, viole, lirone, harpe, théorbe, contrebasse et clavecin) permet à l'ensemble La Tempesta de modeler l'espace de résonance selon l'expression de chaque Sonate.

La passacaille pour violon seul qui vient couronner cette somme violonistique sous le titre de l'Ange Gardien fournit une coda magistrale. Ultime révérence à la vierge pour clore le cycle des prières, ces dernières variations sur basse obstinée reflètent la grande tradition du contrepoint allemand avec, déjà, toute la rigueur et la dimension visionnaire du futur maître de Leipzig.

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