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Concerto pour piano de Pierre Sancan, Jean-Philippe Collard en Majesté

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Sancan, Tchaïkovsky : Concertos pour piano. Jean-Philippe Collard, piano. Emil Tabakov, direction. Orchestre Symphonique de Bilkent. 1 CD EMI Classics LC6646. 67’29’’. 2004. Enregistrement : Ankara, juillet 2003. Livret Français-Anglais.

 

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Trois révélations en une, ce n'est plus un disque, c'est un cadeau. Le retour au disque du plus éblouissant des pianistes français se devait d'être un événement : il l'est !

Relativement peu présent dans les festivals à la mode hexagonale, mène une très belle carrière sur les continents nord et sud américain, australien ou extrême-oriental. La France a ses péchés mignons, ses modes qui parfois tombent d'aéronefs et puis ses valeurs sûres ; la cinquantaine est un tournant dans la carrière de qu'on surprend en des lieux bien éloignés des grandes salles parisiennes ou même provinciales, traçant de village en village de nouveaux Chemins de Musique.

Tchaïkovsky révélé

Dix ans d'une relative modestie rompue de manière fracassante par EMI qui lui confie le soin de graver sur un même disque, le méconnu Concerto de et le trop connu Premier de Tchaïkovsky. Trop connu ? Allons donc. Dès les premières mesures, nous savons que nous aurons affaire à un orchestre de fort belle facture, musicalité et cohérence, manifestement conduit par un maître. On sent la main du chef, , solide, menant son orchestre exactement comme et où il le veut c'est-à-dire là où probablement nous ne l'attendrons pas. Quand entre le piano pour la reprise du thème, cette impression se confirme largement ; le pianiste est libéré des manies de l'interprétation installées par le temps. Ce n'est pas une relecture de l'œuvre, c'est une lecture débarrassée, comme le dit J-P. Collard lui-même, des « scories qui l'encombrent ». Les vastes proportions demeurent bien sûr mais l'orchestration est clarifiée par le Bilkent Symphony Orchestra parfaitement cohérent qui jouerait dans la cour des grands (les parties de solistes des bois et cuivres du deuxième mouvement sont particulièrement belles) si ce n'était parfois un manque de cohésion des cordes légèrement stéréotypées. Le piano de J-P. Collard est puissant et volontaire ; on le sent sûr de lui, sûr de ce qu'il veut. Il déploie sa technique claire, sans faille, parfaitement maîtrisée, attaquant des tempos mesurés, sachant faire dire à son instrument très exactement ce qu'il souhaite, dans le pianissimo comme dans l'attacca subito. Il sait aussi se faire confident complice de l'orchestre, tous deux en perpétuel mouvement, sans qu'à aucun moment s'installe la monotonie qu'une œuvre trop connue pourrait générer. use tout au long de l'œuvre de l'inégalité des croches et d'un rubato peu retenu mais toujours à bon escient, juste de quoi retenir la respiration de l'auditeur. Le final du premier mouvement étant à cet égard un modèle de fidélité au texte : éblouissant, le pianiste y déploie toute liberté tandis que dans une merveilleuse complicité, le chef retient sa phalange dans un tempo parfaitement immobile, y compris dans l'ultime trait de piano dont l'inégalité est à couper le souffle.

Une œuvre magistrale

La seule évocation de , pour ceux qui ont eu la chance de le voir enseigner, suscite intérêt et admiration. Que dire alors de ceux qui furent ses disciples ? J'ai tout appris de ce maître, rétorque Jean-Philippe Collard qui avait déjà joué le Concerto il y a une quinzaine d'années à Pleyel. L'œuvre a l'air d'épouser la forme très classique du concerto en trois mouvements (Modéré vivo, Andante, Allegro vivo), le premier en occupant à peu de choses près la moitié. Celui-ci démarre sur un beau thème monodique aux cordes qui s'annonce dans un lumineux Mi majeur. L'annonce faite, on n'en reparlera plus ! Ce premier mouvement est bâti sur la tête du thème (croche pointée, double, croche) qui ne sera jamais repris tel quel : la répétition, si elle est l'art du pédagogue, n'est pas l'usage du compositeur. Après l'introduction à l'orchestre, le piano reprend le thème qui, de doux et lumineux, devient vigoureux et volontaire en une immédiate opposition avec le Tutti orchestral. La fusion entre les deux « instruments » se fera peu à peu. Jamais le thème ne sera réexposé dans sa forme la plus développée, la forme initiale. Il sera malgré tout repris in extenso, mais transformé, par l'orchestre vers le milieu du mouvement puis magistralement par le piano dans la coda. Le deuxième mouvement est une longue mélodie directement issue du thème du premier mouvement, annoncée d'abord à la flûte puis reprise et très largement développée au piano, accompagné par les instruments tour à tour solistes. Un tutti orchestral vient bousculer cette mélopée vers la fin du mouvement qui s'éteint peu à peu sur la reprise de la flûte et un unisson des cordes après une très belle plainte du piano. Que ce soit dans sa rythmique ou dans le traitement de l'instrumentation, le troisième mouvement change totalement et brusquement l'humeur des précédents, prenant toujours appui sur le thème initial, quand tout à coup le piano nous fait entrer en quelques notes dans un très fugitif univers plus sombre. Ce n'est que pour repartir dans une course effrénée dans laquelle il entraîne de fort belle manière une superbe clarinette solo et un très beau pupitre de cuivres. D'une très courte pause monte alors un crescendo orchestral qui, malgré notre désir de ne pas céder à la comparaison, nous fait inévitablement croire plus que penser au final du Concerto en Sol. Mais, et la surprise est de taille, après un paroxysme orchestral et un grand trait du piano vers l'extrême grave, l'œuvre se referme en une coda de solistes d'où toute ironie est désormais absente.

 : une épiphanie

Nous connaissions l'existence de l'œuvre mais c'est tout : c'est une révélation ! Le Concerto pour piano de Pierre Sancan, créé par lui même en 1959, est une splendeur. Il ne recèle pas d'innovation harmonique, mélodique ou formelle propre à révolutionner l'histoire de la musique. Non. L'œuvre se situe résolument dans un contexte tonal comprenant bi et polytonalité. On sent cependant derrière l'œuvre un compositeur imprégné des langages de son temps, de tous ses langages. L'orchestration n'est pas sans faire parfois penser à celle de Chostakovitch. Mais bien sûr la véritable parenté est avec Ravel et le concerto en Sol, particulièrement dans les deux derniers mouvements. Le traitement instrumental et la pensée générale sont ravéliens sans aucun doute. Mais si filiation il y a, elle sera du même genre que celle des concertos en Ré de Brahms et Beethoven, par exemple. C'est-à-dire qu'il ne s'agit en rien de mimétisme ou d'imitation mais de communion esthétique, où le génie de l'un ne le devrait en rien à celui de l'autre. En ce sens le Concerto de Pierre Sancan est un représentant essentiel du genre au XXe siècle, au même titre que le Concerto en Sol dont il est hautement digne. On sent bien de la part de son auteur, la parfaite maîtrise de l'instrument, tellement son écriture est «pianistique», aisée aimerions-nous dire, si ce n'étaient les difficultés de toutes sortes qu'il n'épargne pas à son interprète. Jean-Philippe Collard a eu raison de le graver. Son interprétation est d'une parfaite limpidité, sa lecture en est claire et nous rend l'œuvre immédiatement accessible et admirable. Pourquoi si peu d'opus alors, à l'actif du Maître ? Il n'avait pas le temps, dit Jean-Philippe Collard ; il était constamment pris par l'enseignement. Il s'est tellement occupé de nous ! C'est peut-être nous qui l'en avons empêché

Lorsque l'enregistrement lui fut présenté, en entendant cet hommage de son disciple, le Maître n'a pu retenir son émotion ; particulièrement à l'écoute du deuxième mouvement puis allant jusqu'à accompagner de son chant les dernières notes qu'égrène le piano à la toute fin de l'œuvre. Pour ce bonheur, même d'un insaisissable instant, merci Monsieur Collard.

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Sancan, Tchaïkovsky : Concertos pour piano. Jean-Philippe Collard, piano. Emil Tabakov, direction. Orchestre Symphonique de Bilkent. 1 CD EMI Classics LC6646. 67’29’’. 2004. Enregistrement : Ankara, juillet 2003. Livret Français-Anglais.

 
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