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Meyerbeer charcuté à Liège !

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Liège. Théâtre royal. 19-VI-2005. Giacomo Meyerbeer : (1791-1864) Les Huguenots, opéra en 5 actes, livret d’Eugène Scribe et Emile Deschamps. Mise en scène : Robert Fortune, assistante : Irène Fridrici ; décors : Christophe Vallaux ; costumes : Rosalie Varda ; lumières : Jean-Michel Bauer. Avec : Annick Massis, Marguerite de Valois ; Barbara Ducret, Valentine ; Marie-Belle Sandis, Urbain ; Gilles Ragon, Raoul de Nangis ; Philippe Rouillon, le Comte de Saint-Bris ; Didier Henry, le Comte de Nevers ; Bransilav Jatic, Marcel ; Antoine Normand, Bois-Rosé ; Léonard Graus, Maurevert ; Guy Gabelle, de Cossé ; Roger Joakim, de Méru ; Patrick Delcour, de Thoré ; Alain Gabriel, de Tavannes ; Pierre Doyen, de Retz. Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie (chef de chœur : Edouard Rasquin), Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Jacques Lacombe.

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Les Huguenots seraient-ils enfin en train de faire leur retour au répertoire? C'est la question qu'on peut se poser, car un an après l'Opéra-Théâtre de Metz, et alors que la rumeur les annonce au Châtelet, c'est à l'opéra Royal de Wallonie qu'est montée une nouvelle production de ces Huguenots qui furent si longtemps mis de côté, pour délit de ringardise supposée par l'intelligentsia lyrique.

Cette production courageuse a divisé le public en deux camps d'importance numérique inégale. D'un côté, les meyerberiens avertis, ceux qui traversent l'Europe à chacune des rares fois qu'une œuvre de leur compositeur fétiche est programmée dans un théâtre lyrique. Ces connaisseurs ont été légitimement déçus par des Huguenots impitoyablement charcutés. Le ballet est manquant, c'est assez bénin, mais de nombreux airs et duos ont été amputés de plusieurs strophes, quand ils ne passaient pas carrément tout entier à la trappe. Pour qui connait bien ses Huguenots, cette version « light » était une souffrance. L'autre camp, numériquement bien plus important, est constitué par le public habituel de l'ORW, qui a découvert avec enthousiasme un des chefs-d'œuvre les plus injustement délaissés du répertoire du XIXe siècle français, partition inventive, à la séduction mélodique immédiate, truffée de difficultés techniques exaltantes, propre à enflammer les publics les plus blasés. Ce public, qui ne connaissait pas la partition, n'a bien sûr pas remarqué qu'on le privait de presque une heure de musique. On peut tenter d'expliquer ces coupures par les faiblesses d'un plateau plombé par deux erreurs de distribution manifestes. La première erreur, la plus incompréhensible, est d'avoir confié Marcel à la basse yougoslave Branislav Jatic, chanteur aux moyens impressionnants, mais à la technique fruste, qui a une idée toute personnelle du bel canto et de la prosodie française. A la fin de son « Pif Paf Pouf », on est heureux qu'il ait été raccourci de moitié, tant la mollesse de sa diction et sa ligne de chant gutturale en ont fait une épreuve. Quand on se rend compte que son duo avec Valentine, un des sommets de cet opéra, passe à l'as à cause des insuffisances du chanteur, on énumère mentalement les basses connaissant le style français qui eussent bien mieux fait l'affaire.

La seconde erreur, la plus grave, est d'avoir tenté de faire de un Raoul de Nangis. Ce rôle crucifiant se révèle bien trop lourd pour ce chanteur courageux, il faut du cran pour s'y attaquer, mais il manque tout simplement de moyens, de format, d'impact vocal, et plus surprenant pour un chanteur baroque, d'agilité. On a pourtant réduit sa partition à l'extrême limite de ce qui était possible : « la Blanche hermine » coupée, duo avec Marguerite réduit à la portion congrue, et on en passe, rien n'y fait. Les deux premiers actes le mettent particulièrement à mal, voix instable, manquant de soutien, aigus à l'emporte-pièce, volume confidentiel, en plus d'une présence scénique pataude et peu convaincante. Il trouve néanmoins des accents touchants et se montre plus vaillant après la pause, réussissant un très honorable duo avec Valentine (hélas sans la phrase élégiaque finale « Ah viens »). On sent qu'il aurait suffi d'un rien pour que le reste de la distribution, de bonne qualité et entièrement francophone, s'enflamme pour nous fournir une prestation mémorable. est une Valentine dont le tempérament dramatique affirmé et la justesse des intentions compensent une ligne de chant assez anarchique et peu virtuose, mais la soprano française négocie de beaux aigus et a une tessiture assez étendue. Marie-Belle Sandis fait un joli Urbain, bien chantant et bien disant, mais mezzo distribuée dans un rôle de soprano, elle manque d'aigus.

Le clou de la représentation aurait dû être , elle semble malheureusement assez inhibée, le timbre un peu sec, et fait entendre quelques intonations hasardeuses. Les vocalises sont agiles et bien négociées, mais elles manquent d'éclat, et on coupe les ailes en plein vol à la diva française en abrégeant drastiquement son duo du II avec Raoul, alors qu'elle semblait partie pour faire des merveilles. Il lui reste son port de reine, sa présence scénique et sa belle diction, mais on est déçu, car d'une pareille artiste, on espère l'exceptionnel, et pas seulement une prestation sage et correcte. Nevers est chanté par un très bon , à l'émission assez engorgée, mais au style noble et à la ligne châtiée, la palme revenant à , Saint-Bris irréprochable, impressionnant d'aisance et de classe, à la diction mordante et aux graves riches d'harmoniques.

On retrouve dans des petits rôles bien tenus les habituels Graus, Gabelle, Delcour, … avec une mention pour la belle prestance de Roger Joakim en de Thoré. Les chœurs de l'Opéra de Wallonie ont déjà été meilleurs, on relèvera leur bonne diction, mais ni les ténors ni les sopranos à la justesse approximative ne brillent d'un très vif éclat. L'orchestre fait valoir sa discipline et des bois de bonne qualité, mais les sonorités des cordes manquent de brillant, et certains solos instrumentaux sont franchement laids.

Direction très intéressante de , qui propose des Huguenots légers et vifs, évitant toute surcharge dans une musique qui flirte souvent avec les limites du pompiérisme. Evitant les décalages, le chef ne couvre jamais son plateau : de la belle ouvrage pour un chef lyrique. La mise en scène de Robert Fortune bénéficie grandement des beaux décors de Christophe Vallaux et des costumes fastueux de Rosalie Varda, auxquels pas un diamant ni une dentelle ne manque. Les scènes de foules sont bien réglées, avec un sommet lors d'un impressionnant Serment des poignards, mais les acteurs semblent parfois laissés à eux mêmes, et Branislav Jatic surtout, errant souvent sur le plateau. Le dernier acte, dans des décors faisant penser au Géricault du Radeau de la Méduse, est poignant et très réussi, mais on notera un anachronisme fâcheux : les fusils à silex que manient les spadassins catholiques qui tiraillent comme des chasseurs à pied. D'abord, l'époque était encore aux arquebuses à mèche, ensuite la Saint Barthélemy s'est essentiellement passée à l'arme blanche, au poignard et à la rapière, or tuer un homme d'un coup de fusil n'est pas la même chose que de lui enfoncer une épée dans le ventre, et cela diminue la barbarie du massacre.

Ces Huguenots liégeois ont donc provoqué des sentiments mitigés, mais le spectacle, malgré les coupures, « tenait » la route, et a permis de faire découvrir le génie de Meyerbeer à un public qui, espérons-le, en réclamera plus. L'Opéra Royal de Wallonie clôture en beauté une saison durant laquelle œuvres peu connues et grands standards du répertoire auront alterné avec bonheur.

Addendum : Un soir n´est pas identique à un autre. Nous avons eu la chance d´entendre la dernière de cette série de représentations des Huguenots le samedi 25 juin. Notre sévérité pour la prestation de lors de la matinée du 19 s´efface devant une performance d´un tout autre calibre. Ce soir de dernière, il a tout donné, semblant avoir mangé du lion. La  » Blanche hermine  » le cueille à froid, mais par la suite, malgré sa tendance à grossir une émission assez nasale, il devient un Raoul de vrai format héroïque, aux aigus éclatants, à la voix puissante et bien conduite, et au timbre d´une réelle beauté. Ardent et courageux, il embrase le duo du IV de passion et de tendresse, avec une qui a elle aussi élevé son niveau pour devenir une Valentine incandescente. Cette véritable métamorphose du ténor français a tiré vers le haut un plateau légèrement fatigué mais beaucoup plus passionné, ainsi que les choeurs et l´orchestre bien meilleurs que la semaine précédente. L´ovation debout qui a salué les protagonistes est entièrement méritée.

Crédit photographique : © Opéra Royal de Wallonie.

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