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Pascal Amoyel, révélation pianiste soliste

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Pour la réalisation du tout nouveau concert théâtre Le Block 15 La musique en résistance avec la violoncelliste et une mise en scène de Jean Piat, ResMusica  propose de rentrer dans le monde du pianiste élu « Révélation Soliste Instrumental » aux Victoires de la Musique en 2005.

Pascal Amoyel« Il ne faut jamais oublier que chez , il y a également un côté charnel, sensuel. »

ResMusica : Né en 1971, vous avez montré très jeune des aptitudes pour l'improvisation et le piano. Vous débutez à l'Ecole Normale de Paris, puis vous entrez au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en suivant les enseignements de Jacques Rouvier et de Pascal Devoyon. Puis c'est Gyorgy Cziffra avec lequel vous avez travaillé plusieurs années en France et en Hongrie. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans son enseignement ?

 : C'est d'abord sa personnalité. Gyorgy Cziffra n'était pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un « pédagogue » au sens littéral du terme. Il montrait avant tout par l'exemple. Son charisme et son souffle étaient si forts que l'on comprenait tout de suite son message. C'était extraordinaire ! Ce qui m'a le plus marqué, c'est qu'il était à lui seul la musique. Cette énergie nous transportait. Son enseignement n'était pas du tout intellectuel, mais plutôt instinctif. Et il était important pour le jeune élève que j'étais de pouvoir l'imiter. Sans que cela devienne stérile, mais dans le sens de prendre ce qu'il m'offrait, c'est à dire son amour, sa passion pour la musique. A cela s'ajoutaient une générosité et une bonté tout à fait naturelles. C'est peut-être une version un peu christique de l'enseignement, mais cet amour-là, pour moi, était plus fort que toute explication qu'il aurait pu avoir sur telle ou telle œuvre.

RM : Après une superbe intégrale des nocturnes de Frédéric Chopin, vous avez enregistré pour Calliope, une intégrale des Poèmes d'. Tous les Poèmes sont regroupés dans l'album alors que plusieurs années peuvent les séparer en date de création. Est-ce que cela change la façon d'écouter ces nocturnes ?

PA : Les Poèmes d' ont étés écrits à partir de la période dite « deuxième manière » qui commence environ au début des années 1900 jusqu'à la fin de sa vie, où son écriture devient plus proche de l'abstraction (troisième manière). Les poèmes sont de petites esquisses, de courtes miniatures de quelques minutes. Le plus bref fait vingt neuf secondes, le plus long onze minutes environ. Ils sont comme le condensé de tout le discours d'Alexandre Scriabine. En même temps, il y a tout un parcours qui me paraissait important de définir comme tel dans ce disque. J'ai essayé de les interpréter presque chronologiquement, bien que laissant toujours le caractère de chaque pièce me guider avant tout, et d'inclure quelques petites « respirations », comme la Valse op. 38 ou le Feuillet d'album op. 45. Il était important pour moi de les enregistrer dans un ensemble, un Tout cher à Alexandre Scriabine puisque pour lui, tout était dans Tout… On a pu dire parfois que certains poèmes se répètent un peu, je ne pense pas que ce soit vrai. Mais même si ça l'était, cela ne rendrait sa musique que plus émouvante, plus fragile car si intimement liée à sa quête spirituelle.

De plus, je souhaitais enregistrer dans un endroit où l'acoustique serait vraiment naturelle, pour approcher « l'aspect cosmique » cher au compositeur, et afin de permettre aux résonances d'être au plus près de la réalité de l'Espace sonore que je n'aurais jamais eu en studio.

RM : Ce qui est fascinant chez lui, c'est aussi cette quête de la couleur du son. Qu'est ce qui vous a le plus attiré et fasciné chez lui, au point que vous ayez eu envie de rassembler tous ces poèmes pour ce disque ?

PA : Justement, sa quête spirituelle. J'ai toujours été fasciné par les témoignages des Sages à travers les siècles. Plus encore que les philosophes. Vers ceux notamment qui disent avoir vécu l'éveil spirituel. Des gens comme Krsihnamurti ou encore Maharshi ont connu cet éveil et parlent d'un état de conscience qui n'est plus ordinaire. Bouddha ou Jésus disent à peu près la même chose. Cet état est souvent décrit comme celui de ne faire plus qu'un avec la nature. Ils ne se considèrent plus comme une entité séparée. Encore une fois il s'agit d'un état vécu, non intellectuel, qui fait que l'Ego est transcendé. La pensée, qui est la source de l'Ego, se tait alors. Alexandre Scriabine était fasciné par ces témoignages-là.

Pour ma part, depuis mon enfance, j'adore la musique de Scriabine, mais savoir aujourd'hui que ces thématiques lui étaient personnelles me fascine. J'ai voulu au plus tôt enregistrer cette musique qui se situe immédiatement dans cette expérience mystique. Un peu comme si on entrait en lévitation et qu'on approchait ce silence, comme par exemple dans le poème Vers la Flamme. Si l'on devait définir le silence en musique, ce serait certainement dans le début de cette pièce. Cette paix intérieure, et ce vide dont parlent tous ces sages, sont je crois quelque chose que l'on peut ressentir en écoutant sa musique. En tant qu'interprète, on est parfois dans cet état de vide total – c'est peut-être cela « l'inspiration »- où l'on s'observe soi même. Comme disait le pianiste Fischer, « Je ne joue pas, mais ça joue ! ». L'auditeur lui-même peut le ressentir lorsqu'il oublie complètement ses soucis lorsqu'il est au concert.

Et c'est sans doute ce sentiment de ne plus être soi-même qui nous rapproche tous les uns des autres. Encore une fois, dans une société qui vante les mérites d'être soi-même, cela peut paraître suspect ou bizarre, voire sectaire. Certains appelleront ça Dieu, ou la Nature, ou l'Energie, en tous cas, on se situe à ce moment là dans quelque chose qui semble couler de source, et on ne fait plus qu'un avec la musique. Celle d'Alexandre Scriabine est certainement une préparation de cet état de conscience, atteignant même parfois ce qu'on pourrait appeler un état d'éveil artistique. On retrouve d'ailleurs cela chez d'autres compositeurs, comme Liszt, Mahler, Chopin ou Schubert.

RM : Justement, comment vous préparez-vous pour jouer Scriabine ?

PA : Il ne faut jamais oublier que chez Alexandre Scriabine, il y a également un côté charnel, sensuel dans l'interprétation de sa musique. Il disait d'ailleurs : « Je ne suis pas venu ici pour enseigner, mais pour caresser » ! Il faut essayer d'oublier le piano, de créer des couleurs, des timbres insoupçonnés, souvent liés à l'orchestre, dans une musique qui utilise beaucoup de voix juxtaposées, de contrepoints. On a l'impression que le message échappe au cadre de l'instrument dont il n'a que faire, que le piano n'est qu'un simple outil. C'est quelque chose que j'ai vraiment voulu rendre dans ce disque. Le paradoxe chez Scriabine, c'est que sa musique est extrêmement construite. Par exemple, dans le PoèmeNocturne, Alexandre Scriabine indique « confus comme dans un rêve ». Mais en même temps, comme chez Frédéric Chopin, si l'on retire une note, tout s'écroule… Si vous écoutez ce Poème et qu'on vous explique ensuite qu'il est construit en forme sonate, cela vous paraîtra à peine croyable ! C'est là la difficulté. D'être constamment dans un monde onirique, parfois même fantasmagorique comme chez Robert Schumann, tout en restant dans un langage très structuré. Alexandre Scriabine n'aimait pas beaucoup qu'on intellectualise sa musique, c'était d'abord un intuitif.

Comme disait Paul Dukas, « il faut savoir beaucoup, mais faire avec ce que l'on ne sait pas ». Avec Scriabine c'est peut être encore plus vrai. Pour acquérir ce souffle là, un peu comme un acteur, il faut avoir été baigné dans sa musique, et je dirais presque exclusivement dans sa musique. De même qu'Alexandre Scriabine ne jouait que sa musique en concert. Ce sont les grands paradoxes de Scriabine. Son univers est à la fois clos et solitaire, ce qui ne l'empêche nullement d'être influencé par l'extérieur, comme par Wagner ou Debussy… Ecoutez les Poèmes op. 63 !

RM : Votre rencontre avec la violoncelliste , est un vrai évènement pour votre carrière, et peut être pour votre vie aussi. Ce duo a remporté de nombreuses distinctions, vous pourriez nous parler un petit peu de cette expérience ?

PA : Avec Emmanuelle, nous formons un vrai duo. Je veux dire que nous travaillons tous les jours sur des œuvres de manière très intense, ce qui nous permet d'aller toujours plus loin. On évolue à la fois ensemble et séparément. J'ai rencontré Emmanuelle au Festival de La Prée, et pour moi ce fut un véritable choc musical. Nous avons tout de suite eu la sensation réciproque de trouver en l'autre notre double musical ! C'est extrêmement marquant, car cela n'arrive sans doute qu'une fois dans une vie. Ce fut le début d'un lien musical et donc humain qui nous unit maintenant depuis plusieurs années, et dont notre travail se nourrit.

RM : Au sujet des révélations instrumentales de l'année 2005, que vous ont-elles apportée concrètement dans votre carrière ?

PA : On est forcément sensible au fait de recevoir une distinction lorsqu'elle vient du monde musical et surtout, comme ce fut aussi le cas, du public. Pour moi, j'ai pris cela comme un soutien, ce qui est très gratifiant. Ce qui fut assez remarquable tout de suite après les Victoires, c'est que lorsque j'ai été invité à donner des concerts, les gens semblaient me connaître avant que je ne les rencontre ! Donc, il se crée forcément un lien, et c'est souvent quelque chose de très fort.

RM : Parlez-nous un peu de votre association avec l'acteur Jean Piat. Est-ce une nouvelle forme de concert et de création, ou une simple et unique expérience ?

PA : Plutôt une nouvelle forme de création ! En fait, notre rencontre a eu lieu lors du festival des Fêtes romantiques de Nohant, en 1998, un soir de finale de coupe du monde de football ! (rires). Nous avons ensuite donné ensemble une soixantaine de représentation d'un spectacle sur le romantisme Les Soirées Romantiques de Nohant. On y raconte notamment la correspondance de Franz Liszt et de Marie d'Agoult. Comme nous nous sommes liés d'amitié, j'ai demandé à Jean de nous mettre en scène dans un spectacle qui s'intitule Le Block 15 et qui raconte l'histoire d'une violoncelliste et d'un pianiste qui ont joué dans les orchestres à Auschwitz et qui ont étés sauvés par la musique. Nous y évoquons par exemple la formidable personnalité d'Alma Rosé, nièce de Gustav Mahler et chef de l'orchestre du camp des femmes. Elle imposa à ses musiciennes une discipline de fer telle qu'elle parvint à les rendre quasi autiste, ne se concentrant que sur la musique et leur faisant ainsi parfois oublier l'enfer dans lequel elles vivaient. D'une certaine manière, elle a sans doute sauvé la vie d'un bon nombre de musiciennes.

Emmanuelle et moi, nous nous identifions sur scène à ces personnages ; la violoncelliste est Anita Lasker Wallfisch (fondatrice de l'English Chamber Orchestra) et le pianiste , qui fut avant la guerre un très grand compositeur, dont la Sonate pour violoncelle et piano fut créée par Maurice Maréchal et Vlado Perlemutter. Puis la guerre l'a broyé.

C'est une histoire de la musique jamais écrite. Pour Emmanuelle et moi, cela a été une expérience essentielle. Nous avons pris des cours de comédie car nous voulions dire les textes nous-mêmes, ce qui était un très grand défi. Et finalement on est très heureux de voir que le public a beaucoup apprécié ce spectacle. Nous avons fait une tournée pendant trois mois en Province, et sommes restés une semaine au Théâtre du Renard. Nous allons le redonner en 2007. Il s'agit à notre connaissance d'une première, dans le sens où la musique est intimement liée au texte. C'est, d'une certaine manière, une sorte de concert théâtral. Et nous avons eu l'immense privilège d'être mis en scène par Jean Piat… Lors de la création au Théâtre du Renard, la violoncelliste Anita était là… Et pour nous, c'était saisissant de la voir, au premier rang, et de raconter sa propre histoire devant elle. Elle était très émue, et nous aussi, c'était vraiment incroyable.

RM : Quels sont vos pianistes préférés au Panthéon du XXe siècle? Y a –t'il à l'heure actuelle, de très jeunes pianistes qui vous ont déjà marqué ?

PA : Alors évidement Cziffra qui a été mon maître et qui au-delà du pianiste fantastique, était d'abord un authentique musicien. Ecoutez-le dans Rameau par exemple ! J'adore Rubinstein aussi, les Nocturnes de Chopin restent une référence incontournable pour moi. Fischer également, j'en ai parlé tout à l'heure, il avait un instinct et une émotion fantastiques… Puis parmi les pianistes actuels, Radu Lupu et Aldo Ciccolini. Pour la nouvelle génération, j'ai beaucoup d'admiration pour ce que fait Nicolas Angelich par exemple.

RM : Vous êtes pédagogue, compositeur et pianiste. Dans quelle activité vous sentez-vous le plus vous-même ?

PA : Justement, dans les trois d'une manière totalement différente, mais qui se rejoignent totalement. Je suis actuellement en train de composer un cycle qui s'appelle Job ou Dieu dans la tourmente, qui est un cycle pour violoncelle seul, qu'Emmanuelle joue. Je me suis rendu compte que lorsque je joue beaucoup, je n'arrive pas à composer, et inversement. C'est un peu pareil pour la pédagogie. Pour moi, désapprendre est très important, ne pas essayer de se référer trop à une autorité qui brime la liberté et empêche de se connaître soi-même. Donc j'essaye par exemple de ne pas trop interférer ni d'être trop envahissant, et de laisser grandir l'élève, de même que je tente de me laisser évoluer moi-même lorsque je compose ou j'interprète. Cela prend parfois plusieurs années. Rubinstein disait encore à 95 ans, « j'ai encore besoin d'une vie pour savoir jouer Chopin » ! C'est ce qui est fascinant dans notre métier bien sûr.

RM : Si vous aviez une œuvre pour piano à classer « Patrimoine de l'Humanité », quelle serait-elle ?

PA : Je dirais les deux dernières sonates de Beethoven, les opus 110 et 111. On parlait tout à l'heure de quête spirituelle, Ludwig van Beethoven était très attiré par les théories de la spiritualité de l'Orient, on le sait assez peu d'ailleurs. Notamment dans le dernier mouvement de l'opus 111, cet espèce de silence, de paix, comme éthéré, ne me semble pas très éloigné de toutes ces quêtes-là. On est au confluent de l'humain dans ces sonates. Une sorte de supra-conscience qui ouvre à une certaine sagesse musicale. Mais bien sûr il serait réducteur de n'y voir que cet aspect.

RM : Qu'avez-vous enregistré d' ?

PA : la Sonate de Requiem et le Trio, avec au violoncelle et Antje Weithaas au violon, qui est parue chez Harmonia Mundi au mois de mars dernier. J'ai eu la chance et le grand privilège de connaître , de travailler avec lui et d'enregistrer (ainsi que pour la télévision) sa Sonate de Guerre dont il fut le directeur artistique. C'était pour moi l'un des grands génies du XXe siècle. Voilà l'exemple d'un compositeur hors mode et hors norme. Quelques mois avant sa mort, alors qu'il n'était ni malade ni souffrant de quoi que ce soit, il me disait, « moi ce n'est pas grave si je meurs, par contre je n'aurais pas dit tout de ce que je voudrais dire ». C'est un compositeur dont l'œuvre est obsédée par la thématique de la mort et de la Shoah. On reconnaît les génies souvent aux premières notes de leurs œuvres, et je pense que nous entendrons encore beaucoup parler de lui dans les années à venir.

RM : Qu'est-ce que vous préparez actuellement? Vous êtes en train d'enregistrer un album ou un nouveau DVD ?

PA : Alors, en préparation, il y a une captation du Block 15 pour l'année prochaine. Puis, il y aura un disque Saint-Saëns avec Emmanuelle. Ensuite tous les festivals d'été bien sûr. Je n'ai pas encore décidé de ce que j'enregistrerai en solo l'an prochain. Mon livre, Si la Musique était contée (bleu nuit éditeur), qui est une histoire de la musique racontée aux enfants, devrait être réédité en fin d'année. Et puis on repartira bientôt sur les routes en tournée avec le Block 15 à la fin de cette année, et plusieurs dates seront à nouveau réservées dans un théâtre parisien.

Crédits photographiques : © Bernard Martinez

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