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Martha Argerich – Charles Dutoit, trente minutes de génie

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Genève, Victoria Hall. 15-II-2007. Hector Berlioz (1803-1869) : Béatrice et Bénédict, ouverture ; Symphonie Fantastique. Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto en sol pour piano et orchestre. Martha Argerich, piano. Orchestre de la Suisse Romande, direction : Charles Dutoit.

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D'aucuns reprochent à de ne pas prendre les risques qu'on espère d'une artiste de son niveau. Le programme de ses récitals n'est effectivement pas très varié. Dès lors, quel intérêt de l'entendre pour la xième fois dans le Concerto en sol de Ravel ? A priori : Aucun. Sauf peut-être qu'on se doit d'assister au concert d'un « quand même » monument de la musique.

Double événement donc à Genève où l' recevait la pianiste placée sous la baguette de son ex-compagnon de vie mais toujours complice en musique, le chef . Passons sur l'ouverture mise-en-bouche de Béatrice et Bénédict dont le seul intérêt résidait dans sa capacité de formater le concert dans un nombre de minutes acceptable au public. Non pas que l'œuvre soit insignifiante ou que son interprétation ait été négligée, mais l'attention du public s'étant focalisée sur la venue de la pianiste, les efforts du chef comme de l'orchestre n'avaient aucune chance d'accrocher l'auditoire avec ce moment musical.

Sous des applaudissements chaleureux à l'ex-résidente de Genève, fait son entrée, sa traditionnelle longue chevelure abandonnée sur les épaules. Après une brève remise en places de quelques mèches rebelles, elle pénètre immédiatement dans le vif du sujet. L'attaque est franche, incisive, presque agressive. Comme surpris, l'orchestre semble se chercher. Quelques mesures suffisent à le remettre en place, alors que la formidable articulation pianistique de impose déjà son rythme et ses intentions. Jamais le discours musical du Concerto pour piano en sol majeur de Ravel n'est apparu aussi clair. Et quel son, quel volume, quelle ampleur ! Avec une autorité naturelle, variant la couleur de ses notes avec un touché tantôt délicat, tantôt d'une force herculéenne, elle dicte l'œuvre. Soudain, Ravel devient évident, laissant l'impression qu'il ne peut ou ne doit pas être joué d'une autre façon. Dans le second mouvement, contrairement à tant de solistes qui confondent le sublime moment d'inspiration ravélien avec un lyrisme de « musiques d'ascenseurs », Martha Argerich s'offre à la mélodie avec une simplicité chargée d'élégance. Dans le presto final, son piano se fait pyrotechnique. Armée de son invraisemblable technique pianistique, elle emmène impétueusement un totalement retrouvé.

Un concerto de piano peut paraître bien court, mais avec la densité qui habite chaque seconde de l'interprétation de Martha Argerich, force est de rester béat d'admiration devant sa maîtrise. Une maîtrise totale qui la projette logiquement vers un triomphe mérité. Prestation unique d'une grande dame qui réussit dans l'authenticité de son art à transcender ses accompagnateurs pour les amener à donner le meilleur d'eux-mêmes. Un succès qu'elle couronne avec brio dans la Bourrée de la Suite écossaise de J. S. Bach qu'elle offre en bis.

Le soufflé retombe rapidement avec la Symphonie Fantastique d' au programme de la deuxième partie de ce concert. Si l'œuvre parait peut-être trop ambitieuse pour un manquant manifestement de souplesse face aux exigences, les débordements souvent caricaturaux de ne lui facilitent pas le travail. Procédant par explosions orchestrales, le chef tente de donner un relief à une musique qui n'a pas besoin de ces artifices pour exister. Oscillant sans cesse entre susurrements et tintamarre, il dénature la mélodie. Si le premier mouvement Rêveries – Passions fait entendre de belles cordes, déjà Un bal dérive vers certaines exagérations orchestrales qui préludent à la véritable cacophonie de l'ultime partie, Songe d'une nuit du sabbat. Et mieux vaut ne pas trop s'étendre sur la Scène aux champs jouée d'une manière totalement décousue et ennuyeuse.

Si le public pouvait se satisfaire du meilleur, les trente minutes de génie offertes par Martha Argerich l'auraient comblé et cette soirée aurait été qu'un impérissable souvenir alors qu'elle s'est vue diluée par un regrettable remplissage.

Crédit photographique : © Stéphanie Argerich

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Genève, Victoria Hall. 15-II-2007. Hector Berlioz (1803-1869) : Béatrice et Bénédict, ouverture ; Symphonie Fantastique. Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto en sol pour piano et orchestre. Martha Argerich, piano. Orchestre de la Suisse Romande, direction : Charles Dutoit.

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