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Dissidente Iphigénie par Krzysztof Warlikowski

Depuis 2004, les choix de auront-ils réussi à faire évoluer le goût du public parisien, jugé conservateur? En guise de test, on reprendra à l'Opéra Garnier Iphigénie en Tauride de Glück dans la mise en scène controversée du polonais (2006).

L'argument est transposé de nos jours dans une maison de retraite aux allures d'asile psychiatrique communiste. Iphigénie, âgée, hantée par son passé revit son épopée en Tauride où le maître de ces lieux, Thoas, la retient prisonnière. L'action, souvenir incarné, rejoué, vient se greffer à ce décor où cohabitent la réalité (la maison de retraite) et la mémoire. Un jeu de miroirs, depuis le rideau de scène qui reflète la salle, nous met en présence des personnages et de leur double, muets.

Les champs de lecture, démultipliés, ne facilitent pas la compréhension. Tel ce cortège de vieilles femmes (les prêtresses) qui accompagnent Iphigénie et qui reviennent périodiquement hanter l'action, comme dans la fin de l'acte II, lors d'une cérémonie qu'Iphigénie prépare en l'honneur de sa famille décimée. Assises face au public, elles mangent leur gâteau insipide jusqu'à ce que le rideau tombe. Il nous reflète alors, nous, public, à leurs côtés. Et nous met face à nous- mêmes.

Cependant, la mise en scène n'obscurcit pas les personnages, elle les étoffe. Cette Iphigénie mourante dans un hospice, abandonnée par les siens, raconte la tragédie de celle que le père livra en sacrifice (Iphigénie en Aulide). Thoas, vétéran de guerre en fauteuil roulant est ce monarque rongé par la paranoïa qui voit la mort partout. Oreste, le visage ensanglanté affublé de lunettes de soleil, fait écho à cette âme éprise de pureté et de justice emmurée par l'angoisse et la culpabilité.

Gluck raconte la grandeur humaine, Warlinowski nous plonge le nez dans sa trivialité. Allant jusqu'à mimer le matricide par le pendant muet d'Oreste : un homme nu, violentant et embrassant sa mère, elle aussi, à demi nue. Il y a comme un excès de Freud, un trop plein d'introspection dans cette exégèse expressionniste et tourmentée.

La musique a toutefois pris le dessus sur la provocation. Avec une mise en scène qui dirige la focale sur les bassesses humaines, on croirait presque que l'émotion nous échapperait. L'émerveillement était pourtant au rendez-vous et la sensibilité, une compagne de tous les instants. Tous les solistes, sur la scène ou dans la fosse, ont brillé par leur diction, leur technique impeccable et leur musicalité. , Oreste puissant et expressif, a bouleversé par son immersion dans le rôle, son naturel et une fibre de tragédien remarquable. , de loin la plus sollicitée dans le jeu scénique, a maîtrisé le rôle avec noblesse et conviction. a campé un Pylade parfait, pudique mais intense. Enfin, n'a pas fait moindre effet dans le rôle de Thoas. Quelques pages succintes qu'il a fait résonner d'une voix imprécatoire, presque infernale. Que dire encore des excellents chœurs et , matériaux souples et intuitifs, qui ont installé avec grande justesse les atmosphères créées par la direction expérimentée d'.

Et la réponse à la question initiale soulevée par le choix radical de la mise en scène? Une vague de huées, compréhensible quoique résolument épidermique, a soulevé la majeure partie de la salle. Était-ce vraiment mérité dans une production où hardcore et sensibilité ont finalement cœxisté sans se détruire?

Crédit photographique : (Iphigénie) & (Oreste) © F. Ferville/ Opéra National de Paris

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