Qu'on se le dise, cette version des Maîtres chanteurs de Nuremberg est légèrement incomplète.
Il y manque en effet toute de la fin de la scène 1 de l'acte I, ainsi qu'une longue portion de la scène 4 de l'acte III, celle qui comprend le merveilleux quintette mené par Evchen ; ces extraits, jamais publiés, sont sans doute irrémédiablement perdus pour l'éternité, et cela pénalise fortement un enregistrement qui ne peut donc que s'adresser aux wagnériens inconditionnels. Le plateau n'est pas non plus des plus convaincants, même s'il réunit un certain nombre des vétérans wagnériens des années 1940 ; sans doute est-ce là aussi, en partie, que réside le problème que pose ce coffret. Jaro Prohaska est dans l'ensemble un beau Hans Sachs, mais il lui arrive de peiner dans l'aigu. De même, Max Lorenz déploie ce qui reste pour nous une des dernières voix d'authentique Heldentenor, mais dans le Rôle de Walther von Stolzing on peut lui préférer un organe plus lyrique. Dans le rôle de David, Erich Zimmermann fait lui aussi davantage penser à Mime qu'au jeune apprenti, et Camilla Kallab manque de charme en Magdalena. Maria Müller, pourtant relativement âgée à l'époque où fut fait cet enregistrement, campe quant à elle une ravissante et juvénile Eva, même si elle n'a pas tout à fait le charme des premières titulaires bayreuthiennes de l'après-guerre, Elisabeth Schwarzkopf et Lisa della Casa. Eugen Fuchs, dans sa composition mi-sérieuse mi caricaturale, fondée enfin sur une véritable compréhension du «beau chant», est peut-être l'interprète le plus convaincant de ce coffret.
On l'aura compris, cet enregistrement historique vaut surtout pour la présence au pupitre de Wilhelm Furtwängler, qui propose de la partition une interprétation absolument magistrale, davantage fondée sur l'opulence et la richesse des sonorités que sur la clarté et la lisibilité des timbres. L'orchestre et les chœurs réunis pour la circonstance lui apportent l'organe idéal pour mettre à bien une conception aussi hiératique d'un chef-d'œuvre, dont la dimension comique et théâtrale laisse ici un peu à désirer. C'est en entendant de tels monuments qu'on comprend le travail de «nettoyage» effectué sur la colline à la réouverture du festival en 1951.