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Le Grand Macabre : somptueuse production de La Fura dels Baus

Somptueux délire que le Grand Macabre présenté à la Monnaie de Bruxelles, et en double distribution !

Ce pied de nez à la camarde du compositeur hongrois , premier ouvrage de la seconde moitié du XXe siècle mis en scène par le collectif , est un coup de maître. L'équipe catalane s'impose ainsi dans un univers qu'elle se promet de défendre avec assiduité. Pour l'entrée dans son répertoire, la Monnaie de Bruxelles a offert un somptueux écrin au Grand Macabre une production digne de ce chef-d'œuvre du théâtre lyrique composé en 1974-1977, et revu en 1996 en vue de la production de Peter Sellars au Festival de Salzbourg – production reprise la saison suivante à Paris, Théâtre du Châtelet.

Inspiré de la Balade du Grand Macabre du Belge Michel de Ghelderode, le livret écrit en allemand est co-signé par le compositeur et Michael Meschke. Pour lui donner davantage en universalité, Ligeti a tenu à ce que l'œuvre soit donnée dans la langue locale du théâtre qui le produit (Bruxelles, pour les raisons linguistiques évidentes et en tant que capitale de l'Europe et siège de l'Otan, a néanmoins opté pour l'anglais). Apparemment hétérogènes et détachées les unes des autres, les quatre scènes se présentent tel un collage qui sollicite tous les modes d'expression artistique. Le sujet, emprunté à la danse macabre médiévale illustrant le Jugement dernier, combine apparitions fantasques sur fond d'Apocalypse. Avec ce Nekrotzar, dit le Grand Macabre, qui veut anéantir le monde sans y parvenir pour cause d'abus d'alcool, l'humour singulier de Ligeti se fait ici d'un cynisme communicatif qui permet toutes sortes élucubrations aux metteurs en scène. Cela malgré les réserves et fâcheries que le compositeur ne manquait pas de manifester de son vivant. Dans Le Grand Macabre, l'aigreur et le sarcasme côtoient le non sens, reflet de la condition humaine. A partir d'un tel sujet, qui ne pouvait que l'inspirer tant il lui ressemble, Ligeti joue à détourner l'opéra pour mieux y revenir, paraphrasant Monteverdi, Mozart, Verdi et autres. Citer pour transgresser, recycler, détourner les objets sélectionnés, en y associant provocation et poésie, pour mieux intégrer le théâtre et l'absurde dans l'opéra. Cet énorme éclat de rire en forme de vent de folie est néanmoins un théâtre d'une profondeur abyssale.

Se rapprochant de la démesure, de l'audace, de la poésie des Jérôme Bosch, Pierre Brueghel et Roland Topor (qui avait signé la scénographie de la création française au palais Garnier en 1980) voulue par Ligeti, propose une lecture singulièrement théâtrale. Alex Ollé et , membres de la compagnie, impriment à l'ouvrage une dynamique infernale. Pour déployer leur réflexion sur la mort, ils ont imaginé leur propre trame. Claudia, une chanteuse de Barcelone victime d'un malaise, croit sa dernière heure arrivée : elle apparaît, énorme, sur le rideau, qui, une fois levé, la laisse apparaître nue sur le plateau tel un fondu/enchaîné. Ce corps géant semble doté de vie. Il est le centre de la scénographie d'Alfons Flores. L'illusion entre le film et le théâtre est si prodigieuse que le spectateur se croit victime d'hallucination. S'ouvrant de toute part (yeux, nez, bouche, tétons, sexe, fesses, viscères), et tournant régulièrement, il est en fait l'ère de jeu des protagonistes. La distribution réunit une palette de chanteurs acteurs de tout premier plan, avec à sa tête , camarde effrayant de vérité, , époustouflant Piet the Pot, Frances Bourne et ardents amoureux (Amando et Amanda), , imposant astrologue flanqué de sa bestiale épouse Mescalina campée par la mezzo-soprano Ning Liang, l'excellent contre-ténor Brian Asawa en Prince Go-Go immature… Ce plateau de premier plan est remarquablement soutenu par un Orchestre de la Monnaie en très grande forme, dirigé d'une main de velours dans un gant de fer par le jeune chef britannique Leo Hussein.

Crédit photographique : Frances Bourne (Amando) & Ilse Eeens (Amanda) © Bern Uhlig

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