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Kwamé Ryan, chef d’orchestre

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Canadien originaire de Trinité-et-Tobago (où il vécut), formé en Grande-Bretagne (piano, contrebasse et direction d'orchestre), élève du compositeur et chef d'orchestre Péter Eötvös, assistant de Lothar Zagrosek à l'Opéra de Stuttgart puis directeur musical de l'Orchestre et de l'Opéra de Fribourg, poursuit depuis quelques années une carrière plus spécifiquement française.

« Un orchestre français donnera immédiatement de la couleur, un orchestre allemand fera plus rapidement de la mise en place rythmique. Cette spécificité française de la couleur vient de la petite harmonie. Les orchestres français ont les meilleurs pupitres de bois »

Depuis la création de l'Espace dernier de Mathias Pintscher à l'Opéra-Bastille (2004) et ses nominations aux directions de l'Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine (2007) et de l' (2009), rencontre avec un chef pas encore quadragénaire qui, par son parcours, sa formation et son répertoire, ne cessera jamais de surprendre.

ResMusica : bonjour. Vous venez de prendre les rennes de l', en succession de Dennis Russel Davies. Quelle différence y a-t-il entre s'occuper d'un orchestre professionnel et d'un orchestres de jeunes en voie de professionnalisation ?

 : La différence la plus importante est que j'ai devant moi des musiciens très talentueux qui n'ont pas beaucoup d'expérience, ils n'ont pas formé leurs avis quant à l'interprétation de Beethoven ou Bartók. Ils sont très ouverts et c'est une grande opportunité pour un chef d'orchestre. C'est aussi une grande responsabilité, on s'occupe d'une future génération de musiciens professionnels.

RM : Qu'est-ce que ces futurs professionnels apprennent au sein de l'OFJ ?

KR : C'est pour eux, comme pour moi quand j'avais leur age, j'avais une idée du métier de musicien d'orchestre, mais la réalité du quotidien est différente. Comment utiliser l'énergie lors d'une journée de répétition, comment focaliser son attention… Par exemple comment jouer Beethoven, car beaucoup d'entre eux n'ont jamais abordé de symphonies de ce compositeur dans leurs pratiques de l'orchestre. Comment respecter la longueur des notes, la netteté des articulations, faire la différente entre un piqué et un chevron [NDLR : indications de phrasé d'une partition]. Ils apprennent aussi la réalité du quotidien d'un musicien d'orchestre et les désillusions qu'elle provoque.

RM : Les désillusions ? Vous êtes bien dur.

KR : On a des illusions parfois sur ce métier.

RM : Vous leur faites jouer un répertoire qui va de Beethoven à Dalbavie, des origines de l'orchestre symphonique à nos jours. Quelles sont vos motivations sur le choix des œuvres ?

KR : C'est un programme très varié. On voulait à tout prix une pièce pour que les cordes travaillent un son romantique avec la Symphonie n°2 de Rachmaninov. Beethoven pour la même raison, mais pour un travail sur un style plus proche du classicisme. Puisque c'est un orchestre français, nous voulons aussi de la musique française, donc Varèse et Dalbavie, ce dernier pour faire intervenir le compositeur. Les musiciens réagissent très différemment quand le créateur est présent, c'est aussi très important.

RM : Là on est sur un travail de préparation. Quel sera l'acquis final que vous souhaitez donner à tous ces jeunes gens ?

KR : Outre la désillusion, la possibilité d'être musicien professionnel tout en étant amateur au vrai sens du terme, de celui qui aime. Il y a aussi la possibilité de maintenir dans le cadre de son métier le plaisir de faire de la musique. L'équilibre entre les deux, le métier et le plaisir, doit être trouvé, malgré les moments de fatigue.

RM : A propos d'orchestre de jeunes et d'identité, vous avez beaucoup travaillé en Europe, vous avez été confronté à plusieurs types d'orchestres. Restons sur l'exemple des orchestres de jeunes, quelles vont être les spécificités d'un pays à l'autre ?

KR : Des différences nationales, qui sont le reflet de la société dans laquelle ils évoluent au quotidien et de la formation et de l'éducation qu'ils ont reçu.

RM : Alors vu que vous avez en charge deux orchestres français, plus une précédente expérience à l'Opéra National de Paris, quelles sont les spécificités d'un orchestre hexagonal ?

KR : J'ai bien plus d'expérience des orchestres allemands en réalité… Un orchestre français donnera immédiatement de la couleur, un orchestre allemand fera plus rapidement de la mise en place rythmique. Cette spécificité française de la couleur vient de la petite harmonie. Les orchestres français ont les meilleurs pupitres de bois. Chaque fois que je reviens à l'Orchestre National de Bordeaux après avoir dirigé d'autres formations en Grande-Bretagne ou en Allemagne je m'extasie à l'écoute de leur petite harmonie. Avec les orchestres français vous pouvez voir les progrès très distinctement de la première répétition au concert, alors qu'aux États-Unis par exemple, dès la première lecture vous êtes très proche du rendu final. Ce n'est pas toujours un avantage.

RM : Que prévoyez-vous pour l'Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dont l'histoire récente a été mouvementée ?

KR : L'identité de l'orchestre est très importante, Bordeaux est à la fois un orchestre symphonique et lyrique. Bordeaux a déjà un bel opéra, il manquait un auditorium symphonique, qui verra le jour en 2011. Il est prévu pour l'avenir une intégrale Dutilleux, ainsi que des projets d'enregistrements des classiques du répertoire symphonique. La musique contemporaine, que j'affectionne, est un point sensible : le Palais des Sports, lieu actuel des concerts de l'ONBA, ne s'y prête pas. Pour l'instant j'en programmerai peu, mais cela changera à l'ouverture de l'Auditorium. Il est très important de pouvoir travailler avec des compositeurs vivants.

RM : Pour terminer, après avoir parlé de l'OFJ et de l'ONBA, quels sont non pas vos compositeurs préférés mais les répertoires que vous n'abordez pas actuellement, sachant que vous savez que vous n'y donnerez pas le meilleur de vous-même ?

KR : Mozart… J'aime Mozart bien sûr, en tant qu'auditeur. Je ne me sens pas à l'aise en tant qu'interprète en revanche. J'adore Debussy aussi, que je dirige peu pour les mêmes raisons. Je ne ferai pas non plus toutes les œuvres des compositeurs que j'affectionne, comme Rachmaninov, Chostakovitch ou Mahler, du moins à l'heure actuelle. J'ai par exemple bien plus à dire chez Mahler dans la Symphonie n°9 que dans la n°1.

Crédit photographique : © Nicolas Tucat

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