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Jean Prodromidès et la poésie de l’enfance

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Jean Prodromidès (né en 1927) : Le Voyage en Ballon, musique du film d’Albert Lamorisse ; Un Jardin Public, musique du court-métrage de Paul Paviot. Orchestre, direction : André Girard. 1 CD Disques CinéMusique DCM118. Code barre : 771028233519. Enregistré en 1960 Salle Wagram (Voyage) et en 1955 (Jardin), Paris. Notices bilingues (français, anglais) excellentes. Durée : 57’44.

 
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Remercions chaleureusement le label canadien CinéMusique du plaisir immense de retrouver le nom de sur un CD, même s'il s'agit essentiellement d'une réédition d'un ancien microsillon Philips. Nous devinerons aisément que cette publication était ardemment désirée par les mélomanes, qu'ils soient cinéphiles ou non, car il est par ailleurs bien regrettable que la production de ce grand musicien français soit si scandaleusement négligée par le disque : sans aucun doute la mode et ses futilités stupides y sont pour quelque chose… Voici en tout état de cause une musique qui s'écoute à la fois avec plaisir et un intérêt constant, et même l'adulte le plus endurci ressentira cet attendrissement propre à la nostalgie d'un paradis perdu, celui de l'enfance.

Né à Neuilly-sur-Seine le 3 juillet 1927, membre de la section Composition Musicale de l'Académie des Beaux-Arts de l'Institut de France, Jean Prodromidès a touché à tous les genres : opéra, oratorio, théâtre musical, ballet, symphonie, musique de film et de scène. Les mélomanes d'un certain âge se souviendront du retentissement provoqué par la diffusion télévisée de son oratorio dramatique Les Perses (1961), témoin des premiers essais stéréophoniques de la Télévision Française : l'auditeur-spectateur recevait l'un des deux canaux par l'intermédiaire du récepteur de télévision, tandis que la radio diffusait l'autre canal ! Indépendamment de la valeur bien réelle de la partition, le résultat sonore, dépendant évidemment de l'emplacement des deux appareils et de leurs caractéristiques respectives, n'était guère concluant…

Prodromidès a collaboré à la musique de film depuis Courte Tête de Norbert Carbonnaux en 1956 jusqu'à Danton d'Andrzej Wajda en 1983, en passant par ce Voyage en Ballon, de Lamorisse. Très attiré par le cinéma poétique pour enfants, le réalisateur français Albert Lamorisse (1922-1970) fit d'abord appel au compositeur et chef d'orchestre français Maurice Le Roux (1923-1992) pour la musique de deux de ses premiers films, Crin-Blanc (1952) et Le Ballon Rouge (1956), récompensés par divers prix. Encouragé à produire des films plus ambitieux, il réalisa Le Voyage en Ballon (1960) au moyen d'une invention de son cru, l'Hélivision, un système pionnier de prises de vues aériennes. Cette fois son choix se porta judicieusement sur qui lui offrit une superbe partition apte à exalter les paysages français, et que le compositeur qualifie d'ailleurs comme «grand poème symphonique sur la France». Il s'agit en fait d'une imposante suite orchestrale de variations basées sur un thème berceur en forme de valse, qui va se métamorphoser, tantôt rêveur, tantôt grandiose.

L'introduction carillonnante et l'évocation des sonorités d'orgue limonaire des manèges de chevaux de bois, nous plongent d'emblée dans le monde de l'enfance (Introduction – Les Cloches de Béthune). Vient ensuite l'exposé du thème sujet aux futures variations, constitué de trois brèves sections : la première espiègle, la deuxième telle une comptine enfantine et la troisième plutôt nostalgique (Envol). Tandis que le Ballet de la Chemise Blanche évoque curieusement le style d'Aaron Copland par ses mesures asymétriques et l'humour primesautier des instruments à vent, c'est plutôt l'univers de Roger Roger que met à l'honneur Prodromidès dans Alsace – Les Vosges, après une introduction des plus mystérieuses.

Paris est une très belle page introduite par une harpe au caractère de confidence intime, et qui s'amplifie ensuite à tout l'orchestre pour aboutir à l'expression grandiose des cuivres lors du survol de la capitale. Chenonceaux – La Chasse contraste par sa flûte calme et poétique et qui annonce la pièce suivante par des appels mystérieux des cuivres. Les Grands Voiliers – Goémons est peut-être le sommet de l'œuvre par la magnificence d'un chœur d'hommes sans paroles et l'évocation de grands espaces. Changement radical d'ambiance avec Poursuite en Bretagne où un thème initialement lent sur fond sonore évoquant vielles et binious bretons se transforme en course endiablée à deux pianos punaisés, digne des meilleurs accompagnements des poursuites burlesques de films muets à la Mack Sennett : ici encore, nous ne sommes pas bien loin de l'imagination musicale d'un Roger Roger.

Les Alpes – Les Glaciers constitue un superbe intermède très mystérieux, les traits ascendants-descendants des bois de la seconde partie rappelant ceux du troisième mouvement Elegia du Concerto pour orchestre de Bartók. Provence est plus ou moins une reprise d'Envol, amplifiée par une farandole rappelant celle de L'Arlésienne de Bizet. Avec Camargue – Les Taureaux – Les Flamands Roses, nous abordons un folklore hispanisant avec douze guitares (!) et tout l'orchestre enivrés de flamenco et autre paso doble. Le Final, après un début d'un dramatisme inquiétant et mystérieux, se résout tout naturellement par la reprise du thème principal en générique fin.

Le regretté André Girard (1913-1987), ce grand chef d'orchestre qui a si souvent dirigé et enregistré la musique française de son temps, et en particulier celle de Prodromidès, ne pouvait nous donner une meilleure version de ce vaste poème symphonique, toute à la fois de précision incisive (avec des vents typiques des années 50-60) et de chaleureuse tendresse.

a écrit de nombreuses partitions de musique de scène pour la Compagnie du Mime Marcel Marceau, et la musique d'Un Jardin Public (1955), court-métrage de Paul Paviot, sa deuxième collaboration au cinéma après le documentaire L'Homme dans la Lumière (1954) de René Lucot, soutient précisément le jeu du célèbre mime qui y incarne plusieurs rôles durant 17 minutes. Cette musique constituée de plusieurs tableautins sonores pour orchestre réduit est d'un grand raffinement, idéal complément sur disque du Voyage en Ballon dont elle semble être une ébauche initiale particulièrement réussie. Mélange de tendresse et d'humour, elle n'hésite pas à parodier les classiques : on y retrouve des emprunts au deuxième mouvement Giuoco Delle Coppie et troisième mouvement Elegia du Concerto pour orchestre de Bartók (pour qui Prodromidès semble avoir une prédilection particulière), au deuxième mouvement Allegro marcato de la Symphonie n°5 de Prokofiev, et à la septième Valse noble et sentimentale de Ravel – et non pas La Valse (qu'elle annonce) comme l'affirme Christian Texier dans ses notes par ailleurs excellentes.

Félicitons chaleureusement monsieur Clément Fontaine, des Disques CinéMusique, de pouvoir mettre à notre disposition, grâce à la collaboration de Jean Prodromidès en personne, ces deux joyaux, pour la première fois intégralement et dans les meilleures conditions techniques possibles.

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