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David Afkham, chef d’orchestre

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Né en 1983, a reçu en août dernier le premier Prix des jeunes chefs d'orchestre décerné par le Festival de Salzbourg, ce qui lui a permis de faire ses preuves avec un concert triomphal à la tête du Gustav Mahler Jugendorchester. Deux semaines plus tard, changement de décor : ResMusica a rencontré le jeune chef à Sarrebruck où il venait de donner un concert avec la Deutsche Radio Philharmonie.

« Chaque orchestre a sa propre personnalité, il faut voir comment on se comporte face à cette personnalité,  apprendre à réagir très vite. »

ResMusica : Salzbourg il y a 15 jours, Sarrebruck aujourd'hui : comment passe-t-on d'un des meilleurs orchestres du monde dans un grand festival à un concert familial avec un orchestre de radio allemand, fût-il en pleine ascension ?

 : Le concert était prévu de longue date : j'ai été invité il y a un an et demi pour ce concert. Entre temps, évidemment, j'ai beaucoup évolué, mais c'est une belle expérience, parce qu'il y a un enregistrement pour la radio, c'est un nouveau répertoire, un nouvel orchestre, un bon orchestre d'ailleurs. On apprend toujours ! De toute façon, on parle de musique ici : quand on écoute ce qui nous est offert, le travail est le même qu'avec un orchestre comme le Concertgebouw, c'est assez étrange : si les musiciens voient que tout tourne autour de la musique et pas autour de moi, le fait qu'on soit à Sarrebruck ou à Salzbourg n'y change rien. Il faut un peu plus expliquer, peut-être, alors qu'à Chicago un regard ou un mot suffisent, mais ça a très bien fonctionné. Chaque orchestre a sa propre personnalité, il faut voir comment on se comporte face à cette personnalité ; certains veulent plus qu'on les conduise, d'autres veulent quelque chose de plus intérieur, certains veulent ou ont besoin de plus de sonorité, d'autres des choses plus techniques, c'est très différent ; il faut apprendre à réagir très vite. Les jeunes musiciens du GMJO viennent dans un tel orchestre parce que tout tourne autour de la musique, et ils brûlent d'apprendre, de jouer, c'est une énergie positive. Il faut parfois les cadrer : «tu joues avec untel», «ah d'accord» ; il faut leur donner un son commun, et ça demande du temps, mais quand ça fonctionne, c'est un rêve. On travaille avec eux toujours depuis les fondements : l'écoute, l'articulation, la précision. Avec des professionnels comme ici, beaucoup de choses fonctionnent d'elles-mêmes : l'orchestre est habitué à jouer ensemble, ils ont une tradition de jeu, c'est un autre travail…

RM : Comment avez-vous choisi les programmes de ces concerts ?

DA : Le programme de Salzbourg était mon choix. Il y avait la 10e symphonie de Chostakovitch, une œuvre de poids, il fallait quelque chose de classique pour contrebalancer, d'où le Beethoven ; et puis, deux œuvres en mineur ; et à côté de ces œuvres sombres, quelque chose de clair, un peu dans les sphères : donc Ligeti. Ça faisait quelque chose de cohérent, ce qui est toujours important pour moi. J'ai eu de la chance que Salzbourg accepte ce programme, ce n'était pas évident. Ici, c'était différent : il y avait un défi particulier, parce qu'il fallait concevoir un programme autour d'un thème, on se retrouve lié par ce thème. Les organisateurs ont vu que j'avais dirigé Le songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, et ça leur a beaucoup plu ; c'est moi qui ai choisi Les Hébrides, pour rester avec Mendelssohn, mais je n'ai pas choisi le concerto de Liszt. J'ai eu deux jours et demi de répétitions pour ce concert. Au début, je me suis dit que c'était trop, mais c'était le premier concert après les vacances d'été…

RM : Bernard Haitink a joué un grand rôle dans le début de votre carrière.

DA : Il est toujours très important pour moi ! Il est mon mentor ; je l'ai connu il y a depuis trois ou quatre ans lors d'une masterclass, à Lucerne. J'étais encore étudiant, en deuxième année, donc tout jeune : je me suis dit «Pourquoi ne pas essayer ? Je n'ai rien à perdre», et j'ai été invité. J'ai ensuit été choisi lors de l'épreuve de sélection, et Bernard Haitink a dit «Je voudrais travailler avec devant l'orchestre». Voilà comment s'est fait le premier contact ; c'était merveilleux, un autre monde, et aussi une autre façon de diriger que ce que je connaissais alors, une autre force, un autre focus, quelque chose comme une autre profondeur. Cela m'a beaucoup impressionné, et je me suis dit «Pourquoi ne pas lui demander si je pouvais garder le contact avec lui ?».

RM : C'était donc plus qu'un hasard, ça n'aurait pas pu se passer comme cela avec un autre chef ?

DA : Non, nous sommes vraiment proches, nous nous comprenons sans avoir besoin de parler. C'est sûr, je suis jeune, il a plus de 80 ans, je ne peux pas diriger comme lui, et d'ailleurs je ne le veux pas ; mais cette qualité du son, ce pianissimo vivant créé ensemble, avec les musiciens, avec contrôle, concentration, volonté, pas seulement musicalement, aussi humainement. C'est un homme merveilleux, et je lui suis très reconnaissant ! Récemment, il a dû annuler un concert à Amsterdam où je l'assistais : on m'a dit la veille que je devais diriger ! J'y reviendrai à la fin de la saison 2011/2.

RM : Comment voyez-vous le répertoire que vous souhaiteriez diriger ? À Salzbourg, vous avez dirigé de Beethoven à Ligeti : est-ce un idéal, ou dirigeriez-vous par exemple aussi de la musique plus ancienne ?

DA : De la musique plus ancienne certainement, mais je ne l'ai pas encore fait : je dirigerais volontiers une Passion, ou un opéra de Monteverdi. Mais je connais encore trop peu de choses, et c'est bien mon problème : il y a beaucoup de choses qui m'intéressent. Pour la musique ancienne, j'ai entendu les baroqueux ; je ne suis pas en position de savoir si ceci ou cela est vrai, mais il y a des idées, ça éveille l'esprit. On peut le combiner, je crois. Sinon, toute l'époque classique, le romantisme, le XXe siècle… Une vie ne suffit pas. En ce moment, ce qui compte pour moi, c'est d'essayer beaucoup de choses, d'apprendre.

RM : En matière de musique contemporaine, avez-vous des directions précises ? Ligeti en tout cas ?

DA : Ligeti certainement, Kurtág avec grand plaisir, ce sont deux compositeurs dont je suis vraiment proche. En janvier je travaille avec le Scharoun-Ensemble à Berlin, pour un programme entier consacré à Henze. Je dois avouer que j'en connais encore trop peu en la matière : c'est difficile de trouver des critères dans ce domaine. J'ai récemment travaillé une pièce d'Unsuk Chin, qui est une élève de Ligeti, mais qui est en quelque sorte beaucoup plus «impressionniste». J'aimerais beaucoup programmer du Webern, mais c'est difficile à faire passer au public. On pourrait imaginer de le combiner avec des choses plus classiques, dans un cadre particulier, série de concerts ou festival, ça apporterait de l'ouverture…

RM : Et l'opéra ?

DA : Là aussi, je dois encore évoluer ; j'en ai naturellement déjà fait, pendant mes études. Mes priorités sont plutôt symphoniques pour le moment. Mais il y a déjà des choses déjà prévues. Mais je ne dis pas encore quoi, on verra bien… Ca prend beaucoup de temps d'apprendre et d'accumuler de l'expérience…

RM : Seriez-vous intéressé par un poste permanent ?

DA : Pas dans un théâtre pour le moment, à cause de tout le processus que cela implique, mais ça devrait venir, bien sûr, peut-être dans un ou deux ans. Pour l'instant, j'accumule des expériences avec des orchestres différents, j'apprends le répertoire symphonique, peut-être avec quelques opéras par-ci par-là… J'apprends notamment en étant assistant, par exemple pour Tristan à Zurich avec Bernard Haitink ; j'ai aussi été l'assistant au GMJO de chefs comme Jonathan Nott, Franz Welser-Möst, Gustavo Dudamel, Pappano, Blomsted, Christoph Eschenbach.

RM : Une question un peu personnelle pour finir : la carrière d'un chef passe nécessairement par le voyage, d'hôtels en hôtels. Comment le vivez-vous ?

DA : Bien ! Ca fait partie du métier, il faut savoir porter sa maison avec soi. Ce qui est important, c'est de savoir qu'à tel et tel moment, je suis en voyage, mais qu'à d'autres moments, je peux être chez moi. Pour l'instant, j'ai encore du temps à la maison, même si ce n'est pas beaucoup. Là, j'ai été en déplacement pendant cinq ou six semaines, et demain je rentre chez moi, après une dernière étape à Cologne !

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