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Le merveilleux Voyage de Werner Güra

Quel plaisir d'entendre le Winterreise (Voyage d'hiver) de Schubert par un ténor ! Les enregistrements légendaires de Dietrich Fischer-Dieskau avaient presque fait oublier que les vingt-quatre lieder composant ce cycle fameux tiré des poèmes de Wilhelm Müller ont une tonalité initiale qui porte la voix plus haut que celle du grand baryton. On apprécie d'autant plus que le «voyageur» de cette soirée au Musikverein de Vienne n'est autre que , le ténor allemand qui a signé en mars dernier un Winterreise remarqué chez Harmonia Mundi, accompagné par . À présent partenaires sur scène, les deux schubertiens ont produit dans la ville natale du compositeur une version remarquable de bout en bout.

L'œuvre, qui est une sombre évocation de l'angoisse face à la mort, a été traitée à merveille : un drame sinistre s'est déroulé, mais sans morbidité. La diction de Güra n'a jamais versé dans l'épouvante gratuite, même si les accents inquiétants d'un homme effrayé par une fin proche étaient bien identifiables. On peut en être reconnaissant au ténor, car un frisson théâtral n'eût pas été grisant. Passant par tous les éléments – la terre d'où sort le Tilleul (Der Lindenbaum), le torrent d'une Inondation (Wasserflut), le souffle d'air portant la Corneille (Die Krähe) –, la voix de Güra donne à entendre un monde désespérant et reproduit à la perfection les nuances de peur inspirées par ce néant.

Techniquement, Güra impressionne par son naturel dans l'amplification ou les diminuendi. Son organe est tour à tour un orage qui se rapproche ou une source qui se tarit. On admire également ses aigus, tenus longuement sans rien perdre de leur coloration. Lorsque le tempo s'accélère et que les phrases se font pressantes (Erstarrung, Rückblick, Der stürmische Morgen, Mut !), Güra paraît prononcer ses dernières paroles, mais sans jamais s'essouffler ni faiblir : c'est un condamné qui fait ses adieux au monde avec dignité. Son beau timbre clair, plein d'innocence et de pureté, presque adolescent, rend la fin du voyage plus tragique encore.

Quant à , c'est un excellent pianiste, mais peut-être pas le meilleur des accompagnateurs. Emporté par son enthousiasme, arborant un style très vertical lui donnant toute la force du bras, il lui est arrivé de recouvrir la voix de Güra ! Un poignet plus sage eût réduit avantageusement sa présence et, surtout, détourné le regard de ses mains tapageuses et permis de s'absorber davantage dans le chant ! Le studio a ses libertés, la scène ses contraintes. Malgré tout, Berner a relevé avec beaucoup d'âme la voix de Güra et sa légère exubérance n'a en rien altéré l'émotion du public, bien conscient d'avoir assisté à une version proche de l'anthologie.

Crédit photographique : © Monika Rittershaus

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