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Un Mathis der Maler événement à Bastille

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Paris, Opéra-Bastille. 16-XI-2010. Paul Hindemith (1895-1963) : Mathis der mahler, opéra en 7 tableaux sur un livret du compositeur. Mise en scène : Olivier Py ; décors et costumes : Pierre-André Weitz ; lumière : Bertrand Killy ; dramaturgie : Joseph Hanimann. Avec : Scott Mac Allister, Albrecht von Brandenburg ; Matthias Gœrne, Mathis ; Thorsten Grümbel, Lorenz von Pommersfelden ; Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Wolfgang Capito ; Gregory Reinhart, Riedinger ; Michael Weinius, Hans Schwalb ; Antoine Garcin, Truchsess von Waldburg ; Eric Huchet, Sylvester von Schaumberg ; Melanie Diener, Ursula ; Martina Welschenbach, Regina ; Nadine Weissmann, Die Gräfin von Helfenstein. Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris (chef de chœur : Patrick-Marie Aubert), direction : Christoph Eschenbach

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Incontestable soirée événement à Bastille avec cette double première constituée à la fois par l'inscription du chef-d'œuvre lyrique de au répertoire de l'Opéra de Paris, et par les débuts du chef dans la fosse.

Œuvre rare, car complexe dans ses nombreuses thématiques et coûteuse à monter avec ses douze rôles et ses sept tableaux, exigeant autant de changements de plateaux et de nouveaux décors, cet opéra n'en est pas moins un des plus intéressants du XXème siècle, et il est grand temps de lui rendre justice en le représentant sur scène avec tout le talent qu'il mérite. On ne peut que féliciter l'Opéra de Paris d'avoir relevé ce défi, et réuni une affiche plus que prometteuse.

Cette double première commença par un faux départ lorsque la fosse d'orchestre fut plongée dans le noir profond après seulement trente secondes. Il ne fallut qu'une poignée de secondes pour réparer cette petite bévue, obligeant les interprètes à reprendre du début, éventant du même coup légèrement le joli effet de cette introduction, montrant Mathis sortant du néant (le noir du fond de scène) s'avançant lentement jusqu'à l'avant scène porteur de la lumière, élément fortement symbolique dans cette œuvre. Sont-ils au point ? nous sommes nous alors inquiétés. Heureusement tout se passa ensuite à merveille et nous pûmes profiter complètement de cette fort belle production, qui n'alla pas, quand même, sans certaines interrogations de notre part.

Cette œuvre a été écrite dans les années 1930-33 dans le funeste contexte d'alors d'une Allemagne devenant nazie, condamnant le compositeur à l'exil, en Suisse puis aux Etats-Unis, et repoussant sa création en 1938 à Zurich. Elle raconte l'histoire du peintre Matthias Grünewald s'apprêtant, dans les années 1520, à réaliser son chef-d'œuvre, le fameux Retable d'Issenheim, à lui tout seul potentiel sujet d'opéra. Ce sera le prétexte à évoquer un grand nombre de dualités et de conflits : catholiques contre luthériens, croyants contre païens, riches contre pauvres, dominés contre dominants, artistes contre mécréants, condition féminine contre condition masculine, l'Art contre la trivialité des réalités quotidiennes, voilà pour les plus évidentes. Choisissant une histoire vielle de quelques siècles, Hindemith n'en était pas moins conscient qu'il illustrait aussi, sinon avant tout, par le biais de la métaphore, ce qui se passait dans son monde contemporain et lui arrivait personnellement. On attendait donc la réponse du metteur en scène à cette question : métaphore ou réalité. Dès l'apparition d'un Panzer, des uniformes de la Gestapo avec leur croix gammée et des bergers allemands, on comprit que avait préféré mettre au premier plan ce que le livret originel avait de sous-entendu, et n'avait pas fait confiance à la force de la métaphore ni à l'intelligence du public pour comprendre tout seul. Ainsi prenait-il le risque de montrer des images qui ne collaient plus avec le texte, ce qui, à certains moments, arriva inévitablement. La Gestapo en arbitre entre catholiques, luthériens et le Pape, c'est quand même moins crédible que le texte originel. Schwalb, ouvrier bolchévique, et sa fille Régina manifestement citoyens d'une ville en ruine (post bombardement) prononçant des paroles qui n'ont de sens qu'à l'époque des paysans au service de leur seigneur, ça froisse un peu. Et pourquoi le comte et la comtesse sont-ils restés des personnages de la Renaissance au milieu des révolutionnaires bolchéviques ? On ne donnera pas plus d'exemple, mais disons que ce choix conduit forcément à des problèmes de cohérences (que certains peuvent considérer comme du détail) qui sont très difficiles, sinon impossibles à résoudre. Mais en dehors de ces détails il faut reconnaitre la qualité et la réussite de cette mise en scène. Les rapports entre les personnages étaient exemplaires et parfaitement crédibles, comme ceux liant Mathis avec Regina et Ursula ou encore le duo de comploteurs Capito Riedinger. Les décors, très réussis, exploitaient avec pertinence et grande intelligence le vaste espace scénique de Bastille dont la machinerie permit de réaliser des enchaînements de tableaux comme on est en rêvait. Le jeu d'acteur de tous les personnages était de haut niveau et la lisibilité des intrigues par le visuel fonctionnait aussi bien que possible dans une œuvre où la compréhension intime du texte est indispensable, nous faisant penser qu'une tel représentation était irréaliste avant l'invention du sur titrage.

Vocalement l'œuvre est en grande partie portée par le rôle de Mathis incarné ce soir par le baryton , dont la voix toute en nuance lui permettait d'exprimer les tourments du personnage qui ne le lâcheront jamais du début à la fin de l'œuvre. Sa voix n'est toutefois pas la plus puissante qui soit et le grand volume de Bastille le met en difficultés ici ou là, et, avouons le, on le perd parfois. Surtout si la mise en scène en rajoute une petite couche, le faisant chanter au bord et en direction de la fosse d'où le son ne risque pas de ressortir, ou, à la fin du sixième tableau, dans son Alléluia, caché derrière la toile posée sur son chevalet qui fait alors office de filtre étouffant. Les lois de la physique sont têtues, les mises en scènes l'oublient parfois sans évidente contrepartie. Ces camarades masculins avaient moins de peine à projeter leur voix vers le public, en particulier l'impressionnant Cardinal de Scott Mac Allister. enchanta le public par la variété de son jeu et la qualité de la voix dans le rôle d'Ursula, tour à tour tendre, forte et décidée, soumise, digne, alors que la plus frêle Martina Welschenbach semblait idéale dans la fragile Regina. Il faudrait les citer tous, ils étaient pourtant douze mais aucun ne fut en dessous du niveau d'excellence. dirigea tout son monde avec une baguette précise, attentive et manifestement passionnée par cette œuvre. C'est ce qu'il fallait pour faire tenir l'ouvrage. Nous ne formulerons que deux petits regrets : les cordes trop discrètes par rapport aux cuivres et percussions (encore les lois de la physiques ! ces instruments placés au bord du mur de fosse ne projettent aucun son direct vers la salle contrairement aux instruments placés vers le fond de la fosse) et une animation interne qui aurait pu être plus intense (la discrétion des cordes y prenant sa part).

Même si on a relevé ici ou là quelques petits détails qui froissent, cela reste une production de haut niveau, pleine d'intelligence et de qualités, qu'on conseillera sans réserve à tout mélomane curieux, en leur rappelant quand même de s'y préparer à l'avance par la lecture du texte.

Crédit photographique : (Mathis) © Charles Duprat / Opéra national de Paris

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