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Niobe, Regina di Tebe, redécouverte d’Agostino Steffani

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Luxembourg, Grand-Théâtre. 03-XII-2010. Agostino Steffani (1654-1728) : Niobe, Regina di Tebe, dramma per musica in tre atti sur un livret de Luigi Orlandi. Mise en scène : Lukas Hemleb. Scénographie et lumières : Raimund Bauer. Costumes : Andrea Schmidt-Futterer. Chorégraphie : Thomas Stache. Avec : Véronique Gens, Niobe ; Jacek Laszczkowski, Anfione ; Amanda Forsythe, Manto ; Iestyn Davies, Creonte ; Lothar Odinius, Tiberino ; Tim Mead, Clearte ; Delphine Galou, Nerea ; Bruno Taddia, Tiresia ; Alastair Miles, Poliferno. Balthasar-Neumann-Ensemble, direction : Thomas Hengelbrock

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Donnée en septembre 2010 au Covent Garden de Londres, cette production initialement conçue pour le festival de Schwetzingen et le Sao Carlos de Lisbonne avait divisé la critique britannique sur la qualité de la musique de Steffani.

Nous avons pour notre part plutôt prisé cette partition d'une grande originalité qui constitue un des nombreux maillons entre l'opéra vénitien à la Cavalli et l'opera seria de type haendélien du XVIIIe siècle. Autant le rythme effréné de l'action que la présence – parfois quelque peu confuse – d'une intrigue secondaire somme toute assez conventionnelle, sans compter la succession rapide de très nombreux morceaux extrêmement brefs, tirent résolument l'ouvrage de Seffani vers l'esthétique de l'opéra vénitien, fortement marquée en Italie par les principes de la diversité et du mélange des genres. En revanche, la présence de plusieurs airs envoutants, dont quelques un suivent déjà la formule appelée à devenir canonique de l'aria da capo, annonce fièrement l'esthétique lyrique du siècle à venir. Toujours pleine de grâce et d'élégance, la musique de Steffani sait se montrer audacieuse quand il le faut, notamment dans son instrumentation souvent atypique – particulièrement dans l'emploi des cuivres – mais aussi dans son chromatisme et dans ses harmonies parfois osées, de même que dans le traitement formel du rapport entre morceaux musicaux et récitatifs.

Les plus beaux airs de la partition échoient au personnage d'Anfione, le roi de Thèbes dont la déraisonnable abdication –doit-on y voir des échos lointains de la tragédie du Roi Lear ? – conduit aux multiples débordements de l'ouvrage puis à la catastrophe finale. Le rôle est tenu par le sopraniste polonais , lequel fait valoir quelques sublimes phrases dans les notes les plus aiguës de sa voix, mais au prix de très vilaines attaques dans le médium et de regrettables ruptures de registre qui nuisent considérablement à l'homogénéité de la ligne de chant. Dans le rôle-titre, fait valoir en revanche des phrasés d'une beauté lunaire, et son investissement dramatique dans le personnage de Niobe est total. Autant par son ravissant physique, rehaussé par les superbes costumes d'Andrea Schmidt-Futterer, que par son jeu scénique, la soprano française parvient à rendre attachant un personnage pour le moins antipathique – un étrange croisement entre la Pompadour, Maryline et Sémélé… –, victime autant de sa soif d'absolu que de ses ambitions de pouvoir. Parmi les deux contreténors, au timbre étrangement similaire (et d'ailleurs assez peu plaisant…), c'est finalement , le chanteur qui monte, qui monte…, qui l'emporte sur son partenaire , notamment par la vaillance de son chant et par l'assurance de ses vocalises. Tous les autres rôles sont impeccablement tenus, à commencer par la soprano Amanda Forsythe, tout à fait craquante sous les traits de l'innocente Manto à la découverte de l'amour et de la sensualité. Excellents également sont la basse , toujours à l'aise dans la vocalisation rapide même si sa voix semble avoir un peu perdu de sa puissance, ainsi que la jeune Française , autre espoir du chant baroque pour les années à venir. Les deux autres membres de la distribution, le ténor Lothar Odinius et le baryton , sont davantage remarquables pour leur investissement dramatique que pour leurs qualités vocales, somme toute assez moyennes. Au pupitre, , à la tête de l'ensemble instrumental Balthasar-Neumann, met tout son talent au service d'une partition dont il se plaît à démontrer les nombreuses qualités esthétiques, ainsi que les multiples audaces.

La mise en scène de , aidée en cela par les éclairages et les décors de Raimund Bauer, parvient elle aussi à souligner, par des images d'une beauté ineffable, les moments de grâce de la partition. On retiendra tout particulièrement ces scènes au cours desquelles un subtil jeu de miroirs et l'utilisation de boules sphériques ou autres ballons gonflés à l'hélium contribuent à évoquer les diverses illusions dont se bercent tour à tour les personnages du drame. La mise scène sait également quand il le faut se faire délicieusement ironique et décalée, et n'hésite à recourir à toutes les ressources du comique pour ridiculiser délicatement cet ensemble de personnages historiques ou mythologiques, mais tristement humains dans leurs travers et dans leurs ambitions.

Il s'agit en somme d'un spectacle extrêmement accompli, qui aura donné l'occasion – et surtout l'envie – de redécouvrir une part encore inexplorée de l'univers lyrique des dernières décennies du XVIIe siècle.

Crédit photographique : (Niobe) © Bill Cooper

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