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La lanterne magique de M. Couperin, l’ancêtre baroque du cinéma

Décidément, en cet automne, le Théâtre de Cornouaille, «Scène nationale – centre de création musicale», à Quimper, contribue joliment au spectacle vivant, puisqu'il est aussi le premier producteur de l'opéra Cachafaz d'Oscar Strasnoy qui tourne encore en France pendant quelques semaines. Également créé au Théâtre de Cornouaille, La lanterne magique de M. Couperin est qualifié de «concert optique». Long d'environ une heure, ce spectacle est original. Il conjoint un récital de clavecin ( s'y taille la part du lion, à côté de pages empruntées à Corrette, Rameau et Royer) et un spectacle de lanterne magique. Inventé au XVIIe siècle, cet appareil se situe bien dans cette fiction et ce merveilleux qui caractérisèrent tant l'ère baroque, surtout en France, avec sa tragédie lyrique et ses romans. Assurément, il ouvre la voie au cinéma. Et il est bien tentant d'y repérer l'ancêtre d'une des deux branches du cinéma : celle du cinéma de fiction dont Méliès et son art de magicien furent le fondement. Donc, dans ce spectacle, foin des frères Lumière et de leur cinéma du réel, mais vivent le songe (en écho à celui de Vaux-le-vicomte, selon La Fontaine) et l'onirisme.

En faisant ronronner (silencieusement, rassurez-vous) un appareil construit au XIXe siècle, Louise Moaty projette, sur un disque suspendu en hauteur (une façon de lune), des plaques qu'elle a réalisées. S'y dévoile un univers poétique et doux, dans un style visuel qui tient davantage de la maquette de décor pour le théâtre ou de la décoration qui orne les anciennes faïences que de l'art graphique actuel ou de la bande dessinée. Le vocabulaire visuel est large : du figuratif (une fraîche représentation de Venise, où des personnages se meuvent lentement) à un abstrait précipité (de magnifiques kaléidoscopes). Grâce à ses deux objectifs, ce vénérable appareil permet de présenter un fond fixe et de faire défiler une ribambelle de motifs visuels (personnages, animaux, éléments naturels ou formes abstraites). Le léger tremblement du bras humain qui meut irrégulièrement ces plaques participe de la touchante rêverie qui gagne le spectateur. Volontairement, Louise Moaty n'a pas voulu unir ce spectacle par un fil narratif ; au contraire, elle propose un synopsis, plus allusif que matérialisé, pour chaque morceau de clavecin. Elle nous conduit en pays de naïveté, au sens le plus onirique du terme.

Cette réalisation visuelle trouve son prolongement dans un travail musical tout aussi accompli. Mêlant pièces connues (Les baricades mistérieuses de Couperin & Les tendres plaintes de ) à des pages peu fréquentées, a délivré un récital concentré et a montré l'étendue de sa musicalité. Sa prestation est d'autant plus méritoire que, pour être goûté, le clavecin nécessite un silence total, ce qui ne fut pas totalement pas le cas des enfants (ils constituaient la moitié de la jauge, en cette salle Bizet) présents en ce début d'après-midi. En fait, l'intitulé lanterne magique ne doit pas abuser : par l'extrême concentration qu'elle exige de ses spectateurs, cette production n'est pas fondamentalement destinée au jeune public. Non que ce dernier y soit hors de situation, mais il demande à être préalablement informé de ce qu'il verra et entendra. Le rêve n'est-il pas une méditation personnelle ?

Crédit photographique : photo © DR

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