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À la chapelle électorale de Dresde

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Toulouse. Auditorium St-Pierre des Cuisines. 29-I-2011. Antonio Vivaldi (1679-1741) : In Furore motet pour soprano et orchestre RV 626 ; Jan Dismas Zelenka (1679-1745) : Missa dei Patri pour solistes, chœur et orchestre. Julia Wischniewski, soprano ; Lucile Richardo, alto ; Éric Vignau, ténor ; Antonio Guirao-Valverde, baryton. Chœur de l’Escale Chromatique (chef de chœur : Samuel Crowther). Orchestre de chambre de Toulouse. Direction : Gilles Colliard.

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Pour leur premier concert de l'année 2011, les douze cordes toulousaines se présentaient en formation baroque augmentée de deux hautbois et d'un basson avec un continuo à l'orgue positif pour transporter le public à la chapelle de la cour électorale de Dresde dans la première moitié du XVIIIe siècle. S'agissant de musique sacrée, l'orchestre était rejoint par quatre solistes et le jeune chœur L'Escale Chromatique, fondé et animé par Samuel Crowther, qui n'est autre que le continuiste de l'ensemble. Outre les claviers, ce musicien complet possède une connaissance experte des flûtes traversières historiques, enseigne le chant baroque et s'adonne à la direction de chœur sans négliger la musique contemporaine…

Moins connu que ses glorieux contemporains Vivaldi, Telemann, Bach ou Haendel, n'en faisait pas moins l'admiration de Telemann et JS Bach qui le reconnaissaient comme un maître du contrepoint avec d'audacieuses tournures modales et harmoniques. Né dans une famille de musiciens, Zelenka approfondit son art au collège des jésuites de Prague puis à Vienne auprès de Joseph Fux, sans oublier le voyage en Italie près de Lotti. Il fut rapidement engagé comme contrebassiste dans l'orchestre de la chapelle du prince électeur de Dresde où ses talents de compositeurs furent remarqués. Pendant près de trente années, il fournit à la chapelle royale de nombreuses partitions sacrées, tant pour le rite catholique que protestant, puisque le prince électeur Auguste le fort s'était converti au catholicisme en 1697, afin d'accepter la couronne de Pologne.

Pour autant, malgré ses œuvres largement appréciées, il n'obtint jamais le titre, ni les émoluments de maître de chapelle et fut toutefois reconnu comme « compositeur d'Église ». Plusieurs années après la mort de Johann David Heinichen, qui occupait ce poste envié, il lui fut préféré Johan Adolf Hasse, qui apportait le nouveau style italien dans la musique religieuse comme à l'opéra.

La modestie de la position de fait penser aux constants déboires de Bach avec ses employeurs successifs, jusqu'au consistoire municipal de Leipzig. L'intériorité de sa musique prend des dimensions mystiques, qui dépassent les préoccupations mondaines et brillantes d'une cour royale. L'ampleur de ses dernières messes empêche toute exécution liturgique, comme s'il avait voulu laisser un vaste testament musical à la postérité, renonçant à des œuvres de circonstance pour une société et une époque, qui ne le comprenaient pas. On pense au Beethoven des derniers quatuors à cordes…

En dépit des qualités intrinsèques de sa musique, les musicologues et interprètes ne s'intéressent à Zelenka que depuis une petite quarantaine d'années. Il existe d'ailleurs une bonne centaine d'enregistrements de qualité.

Si nombre de ses compositions ont disparu lors du terrible bombardement allié sur Dresde en février 1945, le catalogue de Zelenka compte quelque deux cents partitions dont une vingtaine de messes, un superbe Requiem (en do mineur ZWV 48), un Te Deum à double chœur (ZWV 146) des motets, de saisissantes Lamentations de Jérémie, sans oublier des pièces instrumentales avec d'originales Sonates en trio pour 2 hautbois, basson et basse continue (ZWV 181). Il s'agit sans aucun doute d'un compositeur majeur du baroque finissant.

Parmi le cycle des six missae utltimae que Zelenka voulait composer comme dernier chef d'œuvre entre 1740-41, seules trois nous sont parvenues. Première de ces messes, comme son nom l'indique la Missa Dei Patri est dédiée à Dieu le Père lui-même selon une dédicace d'une grande piété : « Au grand Dieu créateur de toutes choses, le meilleur Père, en toute humilité, en très modeste vénération et très profonde adoration… ». Il s'agit d'une messe à numéro de style mixte ou se mêlent le style sacré ancien (mouvements en motet ou en fugue) et le style moderne du concerto et de l'opéra avec les concerts pour chœur en plusieurs parties, les fugues concertantes, les arias virtuoses ou les ensembles de soli. Cette messe est rarement interprétée du fait de sa grande exigence pour le chœur et les solistes.

L'introït orchestral donne la majesté du sujet. Le Kyrie à trois partie exprime une pénitence confiante pas vraiment doloriste, à l'image d'une foi sereine et jubilatoire qu'exprimeront plus tard les frères Haydn dans leur production sacrée. Le Gloria exubérant chante pleinement la gloire de Dieu et l'on goûte particulièrement les mélismes chromatiques dans la fugue du Cum sancto spiritu. Habituellement confié à une soprano, l'Et incarnatus est du Credo est ici interprété par le chœur selon une grande douceur.

Largement mis à contribution, le chœur de 24 chanteurs surmonte brillamment, avec précision rythmique, justesse et un sens certain des nuances, sinon les pièges, du moins les complexités d'écriture de Zelenka. De la première note à la grande fugue finale du Dona nobis pacem, la tension est continue par une juste adéquation entre le chœur à la belle diction latine, les solistes et l'orchestre. Le quatuor soliste est parfaitement en phase. La soprano Julia Wischniewski fait merveille ; le baryton Antonio Guirao-Valverde nous impressionne dans un Benedictus habité, tandis que l'alto livre un émouvant Agnus Dei d'une belle profondeur avec un timbre vocal caractérisé.

La direction précise de soutient la ferveur et la tension que cette partition rare requiert de bout en bout. La soirée avait commencé avec le superbe, mais redoutable motet pour soprano et orchestre In furore de Vivaldi. La colère de Dieu éclate devant la folie des hommes avant d'être sensible à leur repentance. Julia Wischniewski rayonne de grâce et de finesse, surmontant avec aisance et selon un phrasé parfait les terribles vocalises de l'Alleluia final.

Dans le public, nombreux étaient les auditeurs qui ignoraient jusqu'au nom de . Ils ne cachaient pas leur émotion, ni leur joie d'une telle découverte.

Crédit photographique : Julia Wischniewski et Lucile © Alain Huc de Vaubert

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