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Salonen à Présences : chef et compositeur ?

Dix minutes avant le début du concert de clôture du , au théâtre du Châtelet, on s'arrachait encore les dernières places. La salle était comble et le public bouillait d'impatience d'entendre diriger deux de ses pièces (dont une création mondiale), ainsi qu'une création française : une œuvre pour clarinette et orchestre de sa compatriote . Et enfin, pour conclure en beauté ce festival, une interprétation d'Amériques nous était proposée.

Le concert s'ouvrait donc sur une nouvelle œuvre du chef d'orchestre qui dirigeait sa propre création avec une exaltation bien peu dissimulée. Le résultat est un long morceau alternant des passages de tension et d'autres de relâchement, ces derniers consistant souvent en un solo d'instrument – piccolo, harpe… – accompagné par les cordes. Dans l'ensemble, la partition paraît assez déséquilibrée, les cordes ayant beaucoup (trop ?) d'importance, leur partie étant par trop souvent lourde et peu raffinée. Les tutti sont brouillons, flous ; ne parvient pas à exprimer de manière claire son langage musical, qui oscille entre divers compositeurs de la première moitié du XXe siècle : entre autres, le dernier moment de tension du morceau rappelle le final des Métaboles d'Henri Dutilleux. Ces moments souvent simplistes – crescendo, montée dans l'aigu et timbales – n'ont pas véritablement d'effet sur l'auditeur.

Dans D'om le vrai sens, de , c'est l'inverse : l'auditeur perçoit en permanence des sons, des lignes mélodiques, sans trop savoir d'où ils viennent, ou comment ils sont produits, tant ce morceau est riche à la fois sur le plan harmonique et technique. Et également car la clarinette, soliste, entre, cachée, parmi les fauteuils d'orchestre puis se promène parmi les instruments, certains d'entre eux se levant pour lui répondre. Le morceau, inspiré par les tapisseries de la Dame à la Licorne (son titre est en ancien français), et dont les différents mouvements portent le nom des cinq sens – plus un mystérieux sixième – est d'écriture très subtile, jouant avec les nombreuses possibilités techniques de la clarinette (flatterzunge, sons continus) et le grand talent du clarinettiste , à qui la pièce est dédiée. La clarinette dialogue admirablement bien avec le reste de l'orchestre, dont la partition est tout aussi intéressante, en particulier les percussions. , à partir d'un rien, nous fait entrer dans un monde où chaque émotion est distillée avec une grande pureté, une sorte de réalité parallèle où elle est seule maître, à la Mulholland Drive. Et quand, à la fin du morceau, les violons délaissent peu à peu la scène et son chef pour rejoindre la clarinette dans le public, on se rend compte que, depuis le départ, c'était cette clarinette qui dirigeait la musique.

Les premières minutes de la deuxième œuvre d', LA Variations ressemblent grandement à la première, bien que sa structure apparaisse moins simpliste, et son écriture moins déséquilibrée que précédemment. On y retrouve néanmoins certains défauts, comme une partition de cordes mal gérée et une impression de flou dont on n'arrive pas à se défaire. Un des quelques passages réussis du morceau est d'ailleurs écrit pour une formation plus réduite (vents, percussions).

Pour finir, Esa-Pekka Salonen dirigeait une version flamboyante d'Amériques d', morceau qui, presque un siècle après sa composition, possède toujours autant de puissance. L'orchestre a fait presque toujours preuve d'une excellente précision, et les dernières minutes du morceau furent d'une intensité bouleversante. Les percussions, en particulier, furent remarquables.

Crédit photographique : Kari Krikku © Marco Borggreve

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