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Portrait de Bernard Cavanna, doux provocateur

Le label æon consacre un superbe coffret CD/DVD au compositeur (tout juste soixante ans) en gravant les trois pièces les plus récentes de son catalogue qu'accompagnent les très belles images de Delphine de Blic filmant le cheminement de son travail, de la genèse de l'œuvre à sa création.

Mais plus qu'un témoignage, donnant d'ailleurs une vision assez large de l'univers sonore du compositeur, ce DVD ( qui obtient le Prix Sacem du documentaire musical de création 2010) nous dévoile, sans fard ni détours, le personnage Cavanna – l'entrée en matière est à mourir de rire! – conviant ici rien moins que cinq interlocuteurs qui vont, chacun à sa manière, le pousser dans ses retranchements parfois les plus secrets : d'Henry Dutilleux, en qui reconnaît son seul maître, à Jacques Rebotier, son «compagnon de lutte», en passant par , Gérard Condé et  ; des confrères et amis à qui il raconte, avec son charme discret distillant un brin d'humour, son enfance, sa famille – Karl Koop, le grand-père accordéoniste – son métier et ses agitations intérieures : en bref, cette façon de «mettre la peau sur la table», autrement dit d'engager tout son être, social et musicien, dans l'œuvre à écrire. Le film fait également une large part à ses interprètes : Noëmi Schindler, son égérie, qui a crée l'intégral de son répertoire pour violon mais aussi dont l'accordéon colle littéralement à l'éthique sonore de Cavanna.

Cet instrument fétiche est le (anti)héros de Karl Koop Konzert, l'une des trois œuvres gravées dans le CD ; son sous-titre (Comédie pompière, sociale et réaliste) fleure la fausse piste : cette «polyphonie de fête foraine» avec son «trois voix Musette bien désaccordé», ses deux cornemuses et ses trompes de chasse louvoyant entre flon-flon populaire et sonorités glaçantes – telle la couleur tragique de l'accordéon sous une volée de cloches dans la coda – soumet l'auditeur à un perpétuel chaud-froid rien moins qu'inquiétant. y est prodigieux d'énergie et de sonorités tout comme l'Orchestre de Lille sous la direction de Grant Liewellyn.

Trois Strophes sur le nom de Patrice Lumumba confirme le goût de Cavanna pour les formations atypiques et les alliages inouïs. Ici l'alto solo – fervente Hélène Desaint – est souvent doublé, telle une ombre fantomatique et perverse, par la viole de gambe à laquelle s'agrègent deux contrebasses, une harpe et des timbales : l'hommage à cette personnalité politique se situe, là encore, entre tension et déploration : la ligne nue de l'alto sur la scansion des timbales et le grain sombre des cordes prend, in fine, des couleurs chostakoviennes.

C'est Shangaï Concerto pour violon et violoncelle, une œuvre d'envergure (37') en quatre mouvements enchaînés, admirablement défendue par Noëmi Schindler et , qui ouvre cet album. Si l'œuvre charrie des matériaux très hétérogènes comme cette mélodie pentatonique chinoise du deuxième mouvement ou des emprunts à la Messe de Guillaume de Machaut dans le cérémonial étrange du dernier mouvement (Hommage à ), Cavanna n'y exerce pas moins, et avec jubilation, sa manière personnelle, provocatrice autant qu'inventive, jalonnant cet itinéraire sonore haut en couleurs de «timbres réminiscence» (trémolos, sirène, cloches …), sa manière à lui, sonore et efficace, d'ordonner le chaos.

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