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Paris. Centre Georges Pompidou, Grande Salle. 15-IV-2011. György Ligeti (1923-2006) : Melodien ; Torsten-Philipp Herrmann (né en 1981) : Nexus ; Jonathan Harvey (né en 1939) : Death of Light / Light of Death ; Unsuk Chin (née en 1961) : Fanfare chimérique [commande de l’IRCAM – Centre Georges Pompidou & de l’Ensemble intercontemporain ; première audition mondiale]. Ensemble intercontemporain, direction : Patrick Davin

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Tout comme le Concerto pour violon de Schumann, Melodien (1971) ne se donne pas aisément à son auditoire. Certes on y retrouve les girations sonores et les migrations de hauteurs que Ligeti avait formulées depuis le début des années 1960 ; et le temps musical étal qui y règne est sous-tendu par une inquiétante tension. Mais ici le compositeur a conçu une texture opaque et lacérée de façons de mélodies qui, à peine ébauchées, s'enfouissent dans un magma bouillonnant aussi glacé en son extérieur qu'incandescent en son intérieur. Comme si l'ombre d'une mélodie en précédait l'existence réelle, tel, avant lui, Schumann ou Chamisso et son Shlemil. Les musiciens de l' ont relevé un véritable défi : ils ont offert les timbres acérés que cette pièce requiert et en ont rendu la polyphonie aussi claire que possible.

Nexus de est aussi bref que dense. Reprenant le principe d'un orchestre en réduction tel que Stravinsky l'éprouva dans L'histoire du soldat, ce compositeur trentenaire a choisi deux représentants pour chacun des quatre groupes qui constituent l'orchestre : deux bois (flûte et clarinette), deux cuivres (trompette et trombone), deux cordes (alto et violoncelle) et deux instruments «frappés» (percussions et piano). Sortes d'étude sur le chevauchement de schèmes rythmiques aux durées différentes, cette pièce dépasse son objet premier : l'instrumentation, témoin d'une subtile oreille musicale, offre un discours riche et toujours intéressant à suivre.

Créé en 1998, Death of Light / Light of Death fut expressément destiné au Musée d'Unterlinden et résulte d'une contemplation sidérée devant le fameux Retable d'Issenheim. Destinée à cinq musiciens (hautbois/cor anglais ; harpe/tambour ; violon ; alto ; violoncelle), cette œuvre, longue de presque vingt-cinq minutes, comprend cinq formants, autant que de personnages représentés par le peintre Grünewald (Jésus crucifié ; Marie Madeleine ; Marie, mère de Jésus ; Jean l'apôtre ; Jean-le-baptiste). Le compositeur relève qu'un «sentiment irrépressible de l'imminence d'une catastrophe se dégage de ce chef-d'œuvre et c'est ce sentiment qui, jusque dans notre monde moderne, lui donne une telle force provocatrice. Rares sont les crucifixions qui nous semblent aussi dévastatrices que celle-ci, la lumière elle-même la fuie. » Et il ajoute aussi que, dans cet univers endeuillé, un brusque et vif espoir est figuré : de l'autre côté de la croix, se tient Jean-le-baptiste, juste revenu des morts. Est-ce utile de préciser que , qui n'a jamais dissimulé son intérêt pour la transcendance, se saisit de cet accusé contraste lumineux et en tire la source de son travail sonore. Au contraire de ce que fit Debussy dans sa Sonate pour flûte, alto et harpe où, par des duos ou des trios, il chercha des territoires timbriques partagés, exploite les trois modes de production sonore que lui offrent les cinq instruments qu'il a élus : un écho au dehors et à l'agreste (le hautbois) ; des sons brefs et résonnants (quelquefois, ses cordes graves sont frappées avec une baguette de clavier percussif, quand la harpiste ne frappe pas un tambour) ; et le matériau sonore tenu qui ressortit aux instruments à cordes frottées. Et si, la plupart du temps en trio, les instruments à cordes s'expriment avec objectivité et comme s'ils étaient les personnages secondaires du tableau voire des éléments architecturaux ou naturels (en une sorte de «basse continue» visuelle, c'est-à-dire nullement accessoire mais structurante), le hautbois et la harpe semblent s'exprimer plus subjectivement. Risquons une interprétation : le hautbois figurerait deux vivants (Jésus prochainement ressuscité et, de toute façon, immortel par nature ; et Jean-le-baptiste), tandis que la harpe exprimerait, non la mort, mais les rituels funèbres et la présence de la mort dans tout le tableau. Jamais imposé et pourtant puissamment pensé et rhétorisé, ce discours emplit toute cette œuvre, dont l'envergure et l'émotion suscitée permettent d'affirmer qu'elle a, d'ores et déjà, marqué son temps.

La pièce la plus légère – mais aussi la plus longue (une demi-heure) du programme – conclut ce concert. Unsuk Chin a certes accompli un cursus musical technique dans sa Corée natale. Puis, trois ans d'enseignement à Hambourg, auprès de , lui ont apporté l'essentiel : elle découvrit l'indépassable responsabilité du compositeur occidental, au point que le professeur demanda à l'élève de jeter ses œuvres jusque-là écrites ; elle y apprivoisa l'écriture et les outils électroniques, véritables machines à fabriquer «les idées d'illusion, d'utopie, ou de rêve inatteignable» ; enfin, le choc fut si profond qu'elle cessa de composer et attendit d'avoir quitté Hambourg pour se remettre à l'ouvrage.

Résidant à Berlin depuis 1988, elle aborde tous les genres, y compris l'opéra Alice in wonderland d'après Lewis Carroll. Sa plus récente œuvre, Fanfare chimérique, requiert un octuor à vent (les quatre bois et les quatre cuivres de l'orchestre normatif) sis sur le devant du plateau et son identique placé en fond de scène. Tous deux se confrontent dans l'espace puis sont repris et traités par l'électronique, dans une écriture où l'objet premier et son double en miroir se confondent et où les jeux de contrastes et de clair-obscur se déploient avec générosité. Conjurant toute expressivité, cette œuvre séduisante témoigne d'un solide métier, en un ludique équilibre entre abstrait et décoratif.

Tant en ses solistes (Death of Light / Light of Death de , non dirigé) que sous l'experte et sereine direction de , l' a été particulièrement affuté et bien sonnant.

Crédit photographique : © DR

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