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Christian Lindberg, compositeur

Dans son entretien avec ResMusica, évoquait sa triple carrière de tromboniste, de chef d'orchestre et de compositeur – ces deux dernières activités ayant commencé tardivement au tournant de la quarantaine. Alors que ses talents de chefs ont été salués par deux Clefs ResMusica pour des œuvres d', faisons un tour d'horizon des compositions de Lindberg compositeur, toutes publiées par le label Bis, dont il est un des artistes emblématiques.

Fantaisie. S'il fallait définir d'un mot , ce serait celui-là. Et s'il fallait résumer le compositeur, le qualificatif de fantaisiste, dans le meilleur sens du terme, lui conviendrait aussi bien. C'est ainsi qu'apparaît Lindberg tout au long du portrait « To Follow Your Own Star » (Pour suivre sa propre étoile) et des notices des disques que le compositeur a lui-même rédigé. La musique de Lindberg est composée à l'instinct, nourrie de toutes les œuvres qu'il a étudiées et jouées, et se moque de toute solennité, prétention et argumentaire intellectuel.

Fantaisie et fantaisiste sont riches de sens, ils caractérisent l'imagination, l'originalité, le caprice, l'imprévu, l'humour, ils s'opposent au dogmatisme, à l'intellectualisme. Le fantaisiste déroute, amuse, agace, ouvre des voies inattendues ou qui ne mènent nulle part. Cette recherche hors des canons officiels, cette liberté de ton plaît dans les pays anglo-saxons, aux Etats-Unis où il a reçu une commande de concerto du prestigieux Orchestre Symphonique de Chicago. Salué par la presse anglo-saxonne et asiatique, il est ignoré ailleurs probablement pour la même raison : la fantaisie.

Les traits caractéristiques de sa musique : dévouée aux cuivres, elle est virtuose et mélodique, rythmée et cinématographique (Mandrake in the Corner, Akbank Bunka), elle fait se rencontrer les cultures (l'orient et l'occident dans Arabenne, la Scandinavie et l'Amérique latine dans Behac Munroh), elle louche sans vergogne vers le loufoque (Bombay Bay Barracuda composé pour être diffusé à la télévision suédoise au moment du passage à l'an 2000, ou encore An Awfully Ugly Tune qui se traduit par « une mélodie horriblement affreuse »).

Même quand il est sérieux, l'humour potache n'est pas loin. Ainsi Asa est une œuvre sur le culte ancien des Ases dans la mythologie scandinave. Les Scandinaves croyaient que le monde avait été créé dans un immense trou (un néant chargé d'une force considérable et magique), d'où le titre du mouvement conclusif : « Lost Harmony – The World is an Asa-hole », qu'on traduirait par « Harmonie perdue – Le monde est un trou du… Ase ». C'est sans doute pour se préserver de quelques religieux qui n'apprécieraient pas ce jeu de mots que Lindberg précise dans la notice à propos de cette œuvre que le Christ « qu'il ait existé ou non » est son guide pour l'aider à devenir meilleur.

Charismatique et énergique, est à la fois le narrateur et soliste de ses propres œuvres, comme dans le solo Kokakoka, « …Ty solen är uppe! » (« Car le soleil s'est levé ! » pour trombone et chœur d'hommes), mais surtout Helikon Wasp pour orchestre et tromboniste-narrateur-dirigeant qui est l'exemple même de la fantaisie lindbergienne.

Ne pas confondre toutefois fantaisie et superficialité. L'œuvre la plus développée, OF BLOOD SO RED est une œuvre sombre, et qui a des micro « îles lyriques », hommage patent à . The World of Montagruetta, concerto pour flûte aux couleurs chatoyantes et aux reflets changeants a un fond tragique. Il a été inspiré par un documentaire sur des travestis au Brésil, où apparaît un petit garçon. Lindberg avait été frappé de voir que cet enfant avait sur garder son innocence, sa gentillesse et son optimisme alors que sa vie, de notre point de vue, était la misère même.

Il n'y a pas de réelle séparation entre les trois activités de Lindberg, ni même avec sa vie. C'est en combinaison de motard rouge qu'il interprète le Motorbike concerto de son ami compositeur , et la vidéo de l'enregistrement le montre en train de conduire une Harley, vraisemblablement la sienne. Lindberg travaille entre amis, c'est d'ailleurs le titre du premier disque que Bis lui a consacré en tant que compositeur : « Christian Lindberg and his friends play Christian Lindberg ».

Il est évident que Christian Lindberg fascine son entourage, mais aussi qu'il détonne dans une société suédoise où la discrétion et le consensus prévalent. Les deux documentaires du DVD The Total Musician (!) n'échappent pas à une certaine hagiographie où l'autosatisfaction est sous-jacente, mais le ton n'est pas prêcheur ni pédant, et Lindberg démontre que si on le veut, on peut sortir de sa condition – la sienne était d'être catalogué soliste virtuose – et conquérir de nouveaux horizons.

Lindberg veut que l'on s'amuse au concert classique, déboulonner la prétention, et il le fait avec humour et sans avoir besoin de se grimer en rocker ni passer par la recette douteuse du cross-over.

Pour entrer dans cet univers musical marqué par la joie et le plaisir de jouer de la bonne musique, sans facilité ni superficialité, on recommandera en priorité le disque « A composer's portrait I», suivi du DVD The Total Musician (les petits films où Lindberg joue Berio, Kagel et Cage valent le détour, et Brassbones où un ensemble de cuivres s'amuse à reconstituer un western spaghetti ravira les amateurs de cuivre). Si « A composer's portrait II », le disque le plus récent, est plus abouti que le pionnier « Christian Lindberg and friends play Christian Lindberg », celui-ci a la fraîcheur des premiers accomplissements.

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