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Munich, Mitridate le bienheureux ?

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Munich. Prinzregententheater. 24-VII-2011. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Mitridate re di Ponto, dramma per musica en trois actes sur un livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi. Mise en scène : David Bösch ; décors : Patrick Bannwart ; costumes : Falko Herold. Avec : Barry Banks (Mitridate) ; Patricia Petibon (Asteria) ; Anna Bonitatibus (Sifare) ; Lawrence Zazzo (Farnace) ; Lisette Oropesa (Ismene) ; Eri Nakamura (Arbate) ; Alexey Kudrya (Marzio). Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction musicale : Ivor Bolton.

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Mitridate a eu plus de chance au disque que sur scène : l'admirable enregistrement de Christophe Rousset aura été pour beaucoup une révélation, que n'auront guère su confirmer la mise en scène platement agitée de Jean-Pierre Vincent au Châtelet, pas plus que celle, massacrant le livret tout autant que la partition, signée à Salzbourg par un convaincu qu'il fallait cela pour rendre l'œuvre supportable. L'Opéra de Bavière, qui avait déjà donné cette œuvre il y a une vingtaine d'années, vient heureusement effacer ces mauvais souvenirs grâce au travail de et d'.

Et, à vrai dire, surtout grâce à . Figure de proue de la génération montante du théâtre allemand, Bösch n'est pas tout à fait nouveau à l'opéra, mais n'est pas de ces professionnels honorables qui livrent invariablement la même mise en scène d'une scène à l'autre. Son travail sur Mitridate part d'un élément biographique qui pourrait avoir tout d'un placage sans lien avec le cœur de l'œuvre : Mozart avait 14 ans à l'époque de Mitridate, ce qu'on peine à croire même en le sachant parfaitement, et Bösch dépeint pendant l'ouverture, au moyen d'un délicieux film d'animation projeté sur le fond incurvé de la scène, le jeune Mozart en pleine composition, mi-petit génie, mi-ado boudeur devant ses devoirs. De telles projections accompagnent tout le spectacle, et leur trait acéré et très simple est pour beaucoup dans la réussite de la soirée.

Bösch joue souvent la carte de l'humour dans ce spectacle, mais loin de certains de ses confrères qui ont fait couler l'opera seria dans une dérision facile, c'est bien au service de l'œuvre, au service de la caractérisation des personnages qu'il se place, sans dérision, sans ironie, avec tendresse. La transformation d'Arbate en factotum bossu et besogneux ne fait pas que donner du relief à un de ces éternels rôles de confidents de tragédie : il aide à concentrer le regard sur ce qui est pour lui l'essentiel, le conflit des générations. Sifare, Farnace, Aspasia, Ismene : que font ces jeunes gens confrontés à l'autorité, confrontés à leurs propres sentiments, confrontés à des défis qui ne sont pas de leur âge ? Rarement on n'avait aussi bien dépeint cet âge sur une scène d'opéra : grâces en soient rendues à , qui a su tirer le meilleur parti d'une œuvre comme faite sur mesure par un librettiste inspiré et un jeune compositeur de génie (on ne saurait jamais assez souligner les qualités dramatiques et littéraires de ce livret, qui font de Mitridate un drame intense où l'empreinte des Lumières est de chaque instant).

est à l'Opéra de Bavière, depuis 15 ans, le propriétaire-exploitant du répertoire antérieur à 1780, dont il a dirigé de très nombreuses productions, en général avec un grand succès. Sans doute ne démérite-t-il pas ici, pas plus qu'un orchestre qui, sans passer sur instruments anciens, a trouvé une couleur qui convient souvent très bien à ces plongées dans le passé – hormis ici une flûte bien peu amène. Mais si on peut se satisfaire du travail individuel sur chaque air, une grande monotonie se fait jour au fil de la soirée, faute d'avoir su construire une véritable dramaturgie en musique qui sache mieux mettre en valeur les contrastes et les parcours individuels des personnages, comme s'il n'avait pas su, sous les formes de l'opera seria, découvrir l'exceptionnelle qualité dramatique du livret comme de la musique. Faire de l'air de Mitridate Or di pietà mi spoglio un simple air de fureur est possible si on se limite à une lecture superficielle ; mais il y a là-dessous toute une ampleur mythologique qui apparente le roi révolté à une Médée qui, comme lui, se dépouille de son humanité quand la trahison devient manifeste. Il faut espérer que le public n'attribuera cette monotonie ni à l'œuvre, ni à un genre si malmené par les caricatures.

L'équipe de chanteurs réunis autour de Bolton, sans comporter d'individualités de premier plan, parvient en partie à effacer cette monotonie. Il vaut mieux passer sur , dont le timbre viril impressionne dans les récitatifs mais se noie dans les vocalises de son air, d'autant que livre une démonstration de virtuosité mozartienne sans doute un peu trop unidimensionnelle, mais efficace. inquiète en début de représentation, avec un premier air implacablement forcé, mais on la sent plus à son aise que dans sa Lulu salzbourgeoise l'été dernier, et elle finit par apporter l'émotion qu'on attend de son personnage. Ce sont néanmoins les deux frères ennemis qui emportent le plus constamment la conviction : n'est certes pas le castrat soprano demandé par la partition, mais son chant sensible et son timbre chaud et intense dressent le portrait d'un adolescent tourmenté parfaitement crédible, de même que , sans doute le meilleur contre-ténor d'aujourd'hui, trouve dans le rôle du desperado Farnace une occasion idéale d'exprimer une vaillance qui n'a rien de l'angélisme qu'on a longtemps associé à sa tessiture.

Crédit photographique : © Wilfried Hösl

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