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À Bâle, un peu trop d’idées pour Rusalka

Haute qualité musicale et mise en scène inaboutie mais foisonnante et prometteuse.

Le Théâtre de Bâle, distingué deux années de suite (2009-2010) comme « opéra de l'année » par le magazine allemand Opernwelt, a bâti une bonne partie de sa réputation sur une collaboration durable avec de grands metteurs en scène européens comme ou . Cette Rusalka est pourtant une très belle occasion de constater que, contrairement à un postulat répandu, l'exigence scénique n'est pas exclusive d'une haute qualité musicale.

Non que le travail de la jeune metteuse en scène soit entièrement dépourvu de mérites. Disons-le d'emblée : le concept qu'elle développe pour cette Rusalka n'est ni très pertinent, ni très intéressant. Au lieu des aspirations métaphysiques de la nymphe, elle place des désirs beaucoup plus prosaïques : née dans les bas-fonds d'une société post-soviétique marquée par la violence et la vulgarité, sa Rusalka veut avant tout monter dans les hautes sphères d'une société dont elle ne voit d'abord que le faste. Hélas, vulgarité, vénalité et violence y sont plus encore chez eux, et la première victime en sera Rusalka elle-même, qui paiera cher son ignorance des règles tacites qui y ont cours. L'apologue n'est pas très subtil, il peine parfois à occuper le terrain et perd de sa cohérence au cours du troisième acte ; mais le spectateur peut tout de même se raccrocher à de nombreux détails pertinents, notamment dans les relations entre les personnages, qui parviennent souvent à émouvoir, même si certaines scènes convainquent plus que d'autres. Après tout, il vaut bien mieux permettre à une débutante de se confronter aux difficultés insignes de son art que de faire sa religion des mérites supposés de metteurs en scène morts et enterrés…

Pourtant, les plus grands plaisirs de cette représentations viendront de l'interprétation musicale, et en tout premier lieu de la fosse. On est saisi dès les premières notes du prélude par la beauté des sonorités orchestrales et par la scrupuleuse honnêteté du chef , qui renonce avec constance à toute emphase et dose admirablement la riche orchestration de Dvořák, sans pathos, sans grands effets, mais avec une poésie sans cesse renouvelée. La distribution, elle, est plus inégale, comme souvent dans les théâtres dotés d'une troupe. Maxim Aksenov, invité pour le rôle du prince, est une belle découverte ; il n'est sans doute pas le plus vaillant des interprètes possibles pour le rôle, mais son interprétation lyrique, où la mélancolie n'est jamais loin, ne manque pas de facettes inhabituelles. Face à lui, paraît souvent surdimensionnée pour la salle bâloise : elle tient du moins vaillamment la distance et enrichit progressivement son chant de nuances qui manquaient un peu au début du spectacle. Autour d'eux, on remarquera particulièrement Pavel Kudinov qui dessine un Ondin moins immédiatement bouleversant que d'autres dans ce beau rôle, mais convaincant dans son désarroi impuissant. La rivalité indirecte entre la sorcière Ježibaba et la princesse étrangère tourne nettement au détriment de cette dernière, bien trop placide, alors que Larissa Schmidt, un peu trop discrète sans doute, créée une sorcière très humaine.

Rusalka a bénéficié ces dernières années d'une vogue européenne très bienvenue, et on a pu voir des mises en scène et des interprètes plus marquants dans la plupart des rôles. Mais, avec ses défauts, cette incarnation bâloise, qui s'inscrit dans le parcours exigeant et divers que le Théâtre trace avec son public, a la force d'un travail en profondeur, à l'écart de l'excitation et de la course contre la montre des grandes maisons.

Crédit photographique : © Hans-Jörg Michel

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