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Egisto à l’Opéra Comique, puissant et accompli

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Paris. Opéra-Comique. 8-II-2012. Pier-Francesco Cavalli (1602-1676), Egisto, favola drammatica musicale en un prologue et trois actes, sur livret de Giovanni Faustini. Benjamin Lazar, mise en scène ; Adeline Caron, décors ; Alain Blanchot, costumes ; Mathilde Benmoussa, maquillage et coiffures ; Christophe Naillet, lumières. Avec : Marc Mauillon, Egisto ; Anders Dahlin, Lidio ; Isabelle Druet, Climene ; Claire Lefilliâtre, Clori ; Cyril Auvity, Hipparco ; Ana Quintans, Aurora & Amore & Prima hora ; Serge Goubioud, La Notte & Dema ; Luciana Mancini, Didone & Voluptia ; Luciana Mancini, Didone & Volupia ; Caroline Meng, Hero & Bellezza ; Mariana Flores, Semele & Cinea ; Mélodie Ruvio, Fedra & Venere ; David Tricou, Apollo. Orchestre Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre, direction musicale

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Exprimons d'emblée une grande joie : on sort de l'Opéra-Comique avec la certitude d'avoir découvert, à la scène, un des plus puissants opéras de seicento.

Dans cet Egisto créé à Venise la même année qu'Il ritorno d'Ulisse in patria, le livret de Giovanni Faustini y a sa belle part. Comme dans le théâtre de Corneille, Racine ou Marivaux, surgissent, au détour d'une réplique, des phrases dont l'acuité suggère qu'elles ont été inventées à l'instant. On y savoure un raffinement littéraire et poétique, où, simultanément, s'entrelacent tous les degrés de sens, du poignant à l'ironique. Dans une rigoureuse construction dramaturgique, ce livret est truffé d'intertextualités, où, parmi un flot de références dont la plupart échappe à notre présent, se glisse une fine allusion à l'Orfeo monteverdien : lorsque, fou de chagrin, Egisto délire, il en appelle à Euridice et à Orfeo. Puisqu'il est question de Monteverdi, rappelons que Cavalli participa , avec le dramaturge Busenello, à l'atelier qui, fabriqua L'incoronazione di Poppea ; et n'oublions pas que, à cinq reprises, Cavalli et Busenello œuvrèrent ensemble. À ce propos, la vieille Nema qui, dans Egisto, chante les vertus de l'infidélité et de la polygamie, semble la sœur d'Arnalta. En outre, dans L'incoronazione di Poppea et dans Egisto, sont vantées les amours inconstantes ; dans le premier cas, la politique et l'ambition en sont le moteur, dans le second, la cause en est la versatilité humaine, que les dieux, cyniques et imbéciles, manipulent. Un symptome de cette versatilité est la folie : comme le nez dans la nouvelle de Gogol (et dans l'opéra de Chostakovich), la folie passe d'un personnage à l'autre, même si Egisto en est l'hôte le plus fréquent. Folie véritable (Vera pazza) ou folie feinte, déguisée (Finta pazza, tel est le titre d'un opéra de Sacrati, fameux à cette époque), elle plane, facétieuse et incernable, au-dessus de tout cet opéra.

Quant à la partition, elle surabonde de trésors. Le mot, en son prononcé et en sa déclamation, est  l'alpha, le lambda et l'omega de chaque réplique ; la variété de cette écriture récitative est confondante. Dans les arie et dans quelques duetti, des mélodies capiteuses, dignes de Luigi Rossi, envoutent les chanteurs – ébahis de porter un si beau matériau – et laissent les auditeurs pantois. Quant à la part instrumentale, elle distille certes des échos d'Il combattimento di Tancredi e Clorinda, du Huitième livre de madrigaux et de L'incoronazione di Poppea ; mais, surtout, Cavalli a exprimé une irrépressible pulsion de vie et une virtuose écriture rythmique.

En 1993, à peine gagné le perron du Théâtre royal de la Monnaie, le spectateur savait qu'il avait assisté à une production fondatrice de La Calisto, celle que René Jacobs et Herbert Wernicke avaient concoctée. Cette production d'Egisto se situe-t-elle dans ce sillage ?  Pas totalement.

Il n'est assurément rien  à redire à ce que poursuive sa démarche, assurément authentique, à l'égard du théâtre baroque. Tout simplement, parce qu'elle séduit : son éclairage à la bougie change l'intensité et la profondeur de notre regard, il modifie notre relation à la perspective ; enfin, tout amateur de peinture baroque jubile de retrouver, sur scène, un intime écho visuel aux tableaux de son cœur. La difficulté principale tient à un choix que promeut depuis ses récentes productions, à commencer par Cachafaz, l'opéra d'Oscar Strasnoy, sur un livret de Copi, vu en décembre 2010, dans ce même Opéra-Comique : le décor – également conçu par Adeline Caron – est esthétiquement réussi mais limite les libertés d'action scénique.

Ce décor est une tournette à deux niveaux : ce cercle d'environ six mètres de diamètre porte une ruine architecturale, faite de colonnes étêtées ou de voûtes partiellement effondrées ; outre deux escaliers périphériques qui desservent les deux niveaux, des troncs d'arbres, quelques végétaux, des rochers et un sol bosselé figurent une forêt dont les colonnes seraient alors les fûts des arbres. L'éclairage (quasi) constant est astucieusement (r)animé grâce aux changements de bougies ou aux mobilités de caches-chandelles auxquelles procèdent deux discrètes maîtresses de cire. Et surtout, ce décor tourne souvent, dans les deux sens, pour accompagner la mobilité physique (géographiquement bridée, on l'a vu) des protagonistes. En s'interdisant presque tout déplacement en dehors de cette tournette, se prive là de libertés et d'une écriture spatiale qui auraient évité la répétition des identiques et prévisibles trajectoires scéniques à l'intérieur d'un espace saturé. Disons-le : à la fin de l'acte II, ce décor est épuisé et il reste encore un acte à mettre en scène.
Certes, le symbole de la giration est puissant, en ce seicento où la rotondité des trajectoires des objets célestes était questionnée et dans un opéra où les dieux antiques meuvent les hommes comme des planètes. Mais, décidément, ce décor a délivré tout son implicite dramatique et la mise en scène se mue lentement en mise en espace. Dommage, tant le début de ce spectacle est brillant et même si Benjamin Lazar cantonne trop chaque personnage dans un seul registre expressif : à notre sens, Dema n'est pas le seul personnage comique ; une bonne part des autres rôles, même sérieux (y compris le rôle-titre), porte, ça-et-là, un fragment de drôlerie ou de ridicule.

La part musicale est digne de beaux éloges. réalise ici la plus accomplie de toutes ses prestations en fosse. Ne dédaignant nullement de se saisir de son théorbe, il guide un continuo coloré et bi-choral : un capiteux ensemble de cordes frottées (basses de viole, lirone, basse de violon, contrebasse) répond un opulent groupe de cordes pincées (harpe, archiluth, théorbes, guitare baroque, colascione et clavecins). Soutenant confortablement les chanteurs, il n'en maîtrise pas moins le tempo de chaque danse et l'énergie globale de la représentation.

Le plateau vocal, homogène, est de réelle ampleur. a décidément les épaules larges et solides : après le si complexe rôle-titre dans Cachafaz, il apporte à Egisto, personnage dont les souffrances amoureuses constituent la seule personnalité, une admirable variété de déclamations, de couleurs, d'énergies et d'intentions. Une longue tessiture – baryton et baryton-martin –, une émission claire et une dense projection font le reste : Egisto captive, bouleverse. Des autres excellents chanteurs, on distinguera qui, aux prises, elle aussi, avec une autre figure de la déception amoureuse (Climene), touche tout aussi juste. On se réjouit que, désormais, ait su naturellement densifier son émission vocale : son Hipparco est de belle facture. Dans les rôles secondaires, Ana Quintans rappelle quelle fine musicienne elle est : son Aurora et son Amore sont délicieux.

Ce spectacle est coproduit avec l'Opéra de Rouen (il y sera donné à partir du 17 février), où l'ouverture de scène approche les vingt mètres, contre dix à la Salle Favart. On en frémit à l'avance : puissent des solutions être trouvées pour que, sur la scène haut-normande, la tournette n'y apparaisse pas liliputienne …

Crédit photographique : © Pierre Grosbois

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