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Rusalka à Londres, une nymphe pour aujourd’hui

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Londres. Royal Opera House. 1-III-2012. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka, conte lyrique en trois actes sur un livret de Jaroslav Kvapil. Mise en scène : Jossi Wieler, Sergio Morabito. Décor : Barbara Ehnes. Costumes : Anja Rabes. Avec : Bryan Hymel (Le prince) ; Petra Lang (La princesse étrangère) ; Camilla Nylund (Rusalka) ; Alan Held (L’ondin) ; Agnes Zwierko (Ježibaba) ; Gyula Orendt (Le forestier) ; Ilse Eerens (Le garçon de cuisine) ; Anna Devin, Madeleine Pierard, Justina Gringyte (Trois nymphes). Chœur du Royal Opera (chef de chœur : Renato Balsadonna) ; Orchestra of the Royal Opera House ; direction musicale : Yannick Nézet-Séguin

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Plus d'un siècle après sa création, il était temps que Rusalka entre enfin au répertoire du Royal Opera, d'autant plus que cela fait maintenant une quinzaine d'années que ce chef-d'œuvre longtemps ignoré en Europe occidentale conquiert les unes après les autres toutes les grandes scènes du continent.

Pour cette création, le nouveau responsable de la programmation lyrique n'a pas choisi de créer une nouvelle production, mais d'acheter celle de l'édition 2008 du Festival de Salzbourg : choix courageux, car elle avait violemment divisé le public et la critique.

« Conte lyrique » : tout le malentendu vient de là. Certes, le personnel du conte est bien là, un prince, une sorcière, une ondine ; certes, la force lyrique de cette musique a de quoi faire chavirer l'auditeur le plus endurci. Mais le librettiste n'est pas un Andersen tchèque : son livret est celui d'un homme de son temps au contact de toutes les avant-gardes littéraires, qui a plus à voir avec Freud qu'avec la littérature enfantine. Il n'y aurait donc pas de plus grande trahison pour cette œuvre que de la réduire à son folklore, et et l'ont compris comme personne, quand bien même la richesse de l'œuvre a séduit bien d'autres metteurs en scène de talent, de Robert Carsen à Stefan Herheim en passant par Martin Kušej.

Leur Rusalka n'ignore rien des troubles freudiens de l'adolescence, vue comme rencontre entre plusieurs mondes, avec les peurs et les souffrances que cela suppose. Mais ce n'est pas la seule piste suivie par cet admirable spectacle aussi polysémique que l'œuvre elle-même – il suffit de constater les transformations du chat en peluche que Rusalka serre dans ses bras au début de l'opéra : lui qui apportait à l'enfant en devenir une illusoire sécurité parvient à taille humaine chez la sorcière pour laquelle il exécute de terrifiants rites de passage, avant de se transformer au 3e acte en un inoffensif matou, qui est comme l'incarnation de l'échec de la vie rêvée de Rusalka, comme l'âme insaisissable à laquelle elle a cessé d'aspirer. Pour comprendre ces aspirations, Wieler et Morabito se sont aussi intéressé au monde qui l'entoure : à l'attente, à l'ennui, à l'incapacité de communiquer qui ne concerne pas seulement Rusalka, muette pendant l'essentiel de l'acte II, mais aussi ceux qui assistent, impuissants, au naufrage de ses rêves. Les décors de Barbara Ehnes, avec leur vulgarité assumée, dans leur virtuose simplicité, expriment à merveille toute la palette de cette difficulté de vivre avec ses propres désirs et avec ses pareils qui fait toute la force dramatique de l'œuvre. On rêve d'une reprise qui serait enfin accompagnée de la captation que ce spectacle unique mérite plus que bien d'autres.

Dans le rôle-titre, a gagné en maturité depuis les représentations salzbourgeoises : l'incontestable investissement scénique et vocal dont elle avait alors fait preuve s'enrichit ici de nuances et d'émotions qui manquaient alors. Son prince londonien, lui n'a pas la séduction naturelle qu'avait Piotr Beczala ; son chant est solide, mais trop monolithique. , elle, manque toujours plus de cette solidité, et s'il n'est pas inconvenant que la Princesse étrangère navigue entre deux eaux, il aurait été souhaitable que cela ne se traduise pas autant dans ses intonations. Si la sorcière d'Agnes Zwierko ne fait pas entièrement oublier celle de Larissa Diadkova à l'Opéra Bastille, son chant reste sûr et expressif, tout comme celui d', sans doute le chanteur le plus expérimenté au monde dans le rôle de l'ondin.

Mais c'est peut-être dans la fosse que les metteurs en scène ont trouvé l'écho le plus adéquat à leur point de vue, beaucoup plus que avec l'interprétation plus passe-partout de Franz Welser-Möst et du Cleveland Orchestra à Salzbourg. Les sonorités de l'orchestre ne sont pas des plus séduisantes, mais partage visiblement leur vision noire de l'œuvre. Dès le prélude, il n'est pas question d'innocence : il n'y a pas de place pour l'idylle maritime, pas plus que pour le romantisme des forces naturelles. La direction de semble connaître par moments des baisses d'inspiration, par exemple dans certains épisodes du grand duo du 3e acte, mais elle soutient du moins admirablement les chanteurs et offre un écrin idéal à la rencontre passionnante entre un duo de metteurs en scène clairvoyants et un des chefs-d'œuvre de la modernité universelle.

Crédit photographique : © Clive Barda

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