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Ludovic Morlot, chef d’orchestre

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L'année 2012 voit accéder à ses deux premiers postes de Directeur Musical, l'un à la tête d'un orchestre avec le Seattle Symphony pour la saison 2011-2012 et l'autre à la tête d'une maison d'opéra avec la Monnaie de Bruxelles pour la saison 2012-2013.

« Pour faire venir le public à la musique contemporaine, ce sont des groupes de rock qui nous servent de locomotives ! »

« , a new era » clament des bannières dans les rues encerclant le bâtiment, allusion non voilée à la fin du très long mandat de son prédécesseur Gerard Schwarz, entamé en 1983. ResMusica a rencontré le jeune chef dans son bureau du Benaroya Hall, belle salle de 2500 places qui abrite le Seattle Symphony depuis 1998, pour découvrir comment se vit la musique classique au nord de la côte Pacifique.

ResMusica : Vous êtes désormais le double Directeur musical à Seattle et à Bruxelles, 2012 est l'année de la consécration ?

: Après Boston où j'étais assistant de Seiji Ozawa et James Levine, j'ai passé beaucoup de temps sur la route, pendant trois ans ; ces nominations se sont construites sur l'énergie.

RM : Tout arrive en même temps ou est-ce une coïncidence ?

LM : L'un a pu précipiter l'autre. Je voulais trouver le projet avec le potentiel le plus intéressant. Le choix qu'a fait la Monnaie a pu être influencé par ma nomination à Seattle, mais ce sont des fonctions très différentes.

RM : Est-ce qu'un mandat ne va pas prendre le pas sur l'autre ?

LM : Ca va être intense, mais c'est mon idéal de pouvoir m'imposer un régime orchestral et d'opéra. En termes de calendrier, on a dû faire des modifications, mais je n'assure que deux productions à la Monnaie, ce n'était donc pas très compliqué.

RM : Comment un Français parvient-il à convaincre un orchestre américain de le choisir comme Directeur Musical ?

LM : Depuis l'annonce du départ de Gerard Schwarz, tous les chefs invités étaient des candidats potentiels. J'étais observé, il y a eu beaucoup de rencontres avec moi et avec d'autres chefs. En avril 2010, je devais remplacer Roberto Abbado. C'était durant l'éruption du volcan islandais, il n'y avait plus d'avion ! J'ai réussi finalement à arriver la veille du concert. Les répétitions ont eu lieu toute la journée, ça a créé beaucoup d'énergie, un coup de cœur.

RM : Les bannières autour du Benaroya Hall saluent votre arrivée par « Ludovic Morlot, A new era », c'est-à-dire « Une nouvelle ère ». Le slogan de votre prochaine saison est « Listen boldly », c'est un appel à « écouter avec audace ». Qu'allez-vous apporter de nouveau ?

LM : Il faut créer une dynamique de concert, il s'agit que le concert soit une histoire, pour l'auditeur il faut ouvrir son cœur, et qu'il sache qu'arriver avec zéro connaissance est OK. Dans notre programme j'essaie de créer un maximum d'opportunités pour un premier contact du public avec l'expérience symphonique « live », en concert, parce qu'il s'y crée une rencontre. Plus qu'une question de répertoire, créer ce premier contact est pour moi comme une mission, pour que se crée un souvenir qui fera que ceux qui ont vécu un concert y reviendront, même dans 20 ou 30 ans. C'est toute ma philosophie derrière la création de tous les types de programmes.

RM : Qu'entendez-vous par là ?

LM : Par exemple, la série de concerts Sonic Evolution est un projet qui s'inscrit dans l'histoire musicale de Seattle, et vise à ouvrir des fenêtres pour expérimenter dans la salle de concert symphonique le son d'autres musiques que celui de la musique classique. On prend des musiques qui font partie de la légende de Seattle, de Jimi Hendrix à Nirvana en passant par Quincy Jones, et elles sont transposées à l'orchestre par des compositeurs locaux ou nationaux. On joue ces musiques avec d'autres œuvres de compositeurs internationaux. En octobre prochain, on reprendra des compositions d'Alice in Chains, Blue Scholars et Yes. Cela fait partie de ma mission de créer des musiques qui traversent les barrières.

RM : C'est un programme assez éloigné de la musique classique…

LM : Pour les mélomanes citadins et pressés, nous avons la série Untuxed, qui est une formule décontractée avec un concert plus court, uniquement les vendredi soirs, qui commence à 19H00 et n'a pas d'entracte.
Au sein du festival d'art et de musique Bumbershoot, nous avons une autre formule : on place un court concert dont le répertoire va de Vivaldi à Philip Glass, avec une création pour basson électrique solo, un quatuor de Glass, et une pièce pour basson où le musicien engage une conversation avec le public pendant qu'il joue. Plus on peut être versatile, le mieux c'est pour élargir le public.

RM : Est-ce que cela laisse de la place à la musique contemporaine ?

LM : Untitled est une série de musique contemporaine jouée dans le hall d'entrée à 22H00, les mêmes soirs que les concerts Untuxed. La prochaine saison on jouera Xenakis, Feldman, Ligeti, Cage, mais aussi de jeunes compositeurs.

RM : Comment faites-vous venir le public à la musique contemporaine ?

LM : On commence avec trois concerts pour la saison, et ce sont en fait des groupes de rock qui nous servent de locomotives ! C'est l'élément social qui compte, quand on dit « Listen boldly », c'est aussi pour dire qu'il faut du courage pour écouter son premier Mozart.

« J'ai commencé un cycle Dutilleux, c'était la première fois que l'orchestre jouait sa musique »

RM : La musique contemporaine est finalement plus accessible pour les jeunes publics !

LM : Mozart attire une autre communauté de mélomanes.

RM : Et vous avez des programmes éducatifs ou pédagogiques ?

LM : On propose la série de concerts multimédia « Beyond the Score » dont le concept a été créé par le Chicago Symphony Orchestra. On propose trois concerts la saison prochaine, autour de la Symphonie n°4 de Mahler, les Variations Enigma d'Elgar et la Symphonie n°5 de Beethoven. En première partie, l'histoire et le contexte de l'œuvre sont présentés par un comédien et des acteurs avec des illustrations par des images, et l'œuvre est jouée en seconde partie, comme un concert habituel. Je ne suis pas favorable à la diffusion d'images mais c'est un enrichissement pour l'appréciation d'une œuvre musicale.
Et nous avons une série de cinq concerts familiaux et pour les écoles, où nous traiterons la mélodie, le rythme, l'harmonie ou encore la narration sur la musique. J'en dirigerai trois et j'en écris les scripts. J'aime bien le faire moi-même, j'ai des enfants en bas âge.
Nous avons aussi un atelier pour les jeunes compositeurs, et le compositeur Samuel Jones qui a été en résidence avec notre orchestre a écrit une chanson qui est devenue très populaire, on la joue au début et à la fin de chaque concert familial !

RM : Amenez-vous une touche française dans la programmation ?

LM : Oui, j'ai commencé un cycle Dutilleux, c'était la première fois que l'orchestre jouait sa musique. C'était une des demandes du public. On donnera aussi la Turangalîla-Symphonie, pour la première fois, c'est une mission et une urgence. Gerard Schwarz avait mis un énorme focus sur Mahler et Chostakovitch, j'ai prévu de jouer Dusapin, on jouera Xenakis à la prochaine saison, j'aimerais faire Boulez, Aperghis, Dalbavie, et aussi Chabrier. On a donné Amériques de Varèse et on fera Déserts dans deux ans. J'aime préparer et répéter. Faire deux pièces de Dutilleux ne suffit pas, il faut répéter, rejouer les mêmes œuvres.

RM : Et parmi les compositeurs américains ?

LM : Aussi, je veux faire jouer Charles Ives, Elliott Carter, Lou Harrison…

RM : Vous vous êtes installés avec votre femme et vos enfants à Seattle. C'est un choix politique, un signal envoyé à la ville et au public ?

LM : Pour se mêler à la communauté, c'est ce qu'on peut faire de mieux. Récolter des fonds est capital pour l'orchestre, et pour cela il faut que le chef soit le visage de l'orchestre.

RM : La construction d'une programmation qui touche différents publics, la levée de fonds, vous imaginiez faire votre métier de chef d'orchestre comme cela ?

LM : Mes mentors Ozawa et Levine ont grandi à une époque où le focus était sur la musique, et où on pouvait faire carrière avec Brahms et Mozart, trois violonistes et deux pianistes. Oui, je suis surpris par tous les projets qu'il faut mener comme directeur musical aujourd'hui, mais plus on y passe de temps, et plus c'est intéressant !

Crédit photographique : © Sussie Ahlburg

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