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A Turin, le Regio clôt le Bal de la saison avec brio

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Turin. Teatro Regio. 23-VI-2012. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Un Ballo in Maschera, mélodrame en trois actes sur un livret d’Antonio Somma. Mise en scène : Lorenzo Mariani. Décors : Maurizio Balò. Costumes : Maurizio Millenoti. Lumières : Andrea Anfossi. Avec : Gregory Kunde, Riccardo ; Oksana Dyka, Amelia ; Gabriele Viviani, Renato ; Marianne Cornetti, Ulrica ; Serena Gamberoni, Oscar ; Marco Camastra, Silvano ; Antonio Barbagallo, Samuel ; Gabriele Sagona, Tom ; Luca Casalin, le Juge ; Dario Prola, le Serviteur d’Amelia. Chœur et Orchestre du Teatro Regio (chef de chœur : Claudio Fenoglio), direction musicale : Renato Palumbo

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Dépoussiérer n'est pas synonyme de transposer. Ainsi dans sa mise en scène créée lors de la saison turinoise de 2003/2004, situe le drame de Verdi à la belle époque.

Si l'intrigue verdienne veut se référer à l'assassinat du roi Gustave III de Suède en 1792, aucun événement ne justifierait sa transposition au début des années 1920 si ce n'est l'occasion pour d'habiller le plateau de costumes élégants et somptueux, où perles en sautoir, robes en drapés bouffants, chapeaux-cloche et voilettes légères confèrent une beauté impressionnante aux ensembles féminins.

Difficile cependant d'être charmé par les décors monumentaux (). Avec ces hautes portes, parois blanches où penchent d'immenses et improbables tableaux, sols à grands damiers noirs et blancs, intérieurs nus du palais, la beauté des costumes se voit ainsi réduite par le gigantisme et le kitch des décors. Ainsi l'antre d'Ulrica, plateau circulaire incliné baigné d'une lumière d'un rouge électrique reste d'un goût douteux et d'un effet plus pompier que terrifiant. Si l'idée dominante de montrer un monde perdant ses lignes en inclinant tel ou tel élément du décor, le champ de potences où pousse la mandragore, avec ses démesurés gibets inclinés s'avère d'une utilité scénique discutable dans la difficulté pour les protagonistes de se mouvoir dans cet entrelacs d'échafauds et de cordes. Cependant, certaines scènes restent spectaculairement belles, comme lorsque la foule du bal masqué vêtue de ses costumes rouges envahit brusquement le plateau sur lequel tombent soudain une multitude de guirlandes et de pétales de roses rouges.

Dans sa direction d'acteurs, hésite constamment entre la légèreté et le drame, l'insouciance et le discours amoureux. Avec plus ou moins de réussite. Avec deux distributions différentes des rôles principaux durant les neuf représentations au programme, la constance des rôles est difficilement atteignable. La représentation à laquelle nous avons assisté voit en scène le couple Amelia et Renato d'un âge équivalent alors que Riccardo est interprété par un chanteur sensiblement plus âgé que l'héroïne. Ainsi, les scènes passionnelles entre ces deux protagonistes ne sont guère crédibles.

Dans ce contexte parfois discutable, le spectacle reste néanmoins plaisant et musicalement d'un très bon niveau. Dès l'ouverture, prise sur un tempo assez lent, le chef favorise la couleur orchestrale des bois donnant à cette page les accents sombres du drame qui se joue. A noter que Palumbo se laisse parfois entrainer par sa poésie musicale. La rigueur lui fait alors défaut créant quelques décalages entre le chœur et l'orchestre qu'il reprend heureusement rapidement.

Sur scène, c'est le régal du chant. D'abord avec un (Riccardo) qui confirme l'excellente impression laissée lors de sa prestation turinoise de I Vespri Siciliani en mars 2011. Si l'aisance déconcertante qu'il avait démontrée alors ne semble plus aussi évidente ici, il la doit au rôle combien plus écrasant de Riccardo. Avec sa voix pas très belle, manquant d'italianité, ses aigus gras, le ton barytonal de son instrument convainc cependant. C'est un Verdi viril qu'il offre ici. Une virilité peut-être trop évidente pour personnifier avec bonheur sa passion amoureuse pour Amelia. Malgré d'évidentes couleurs « pavarotesques » confinées au registre médium de sa voix, il ne peut faire oublier la référence vocale du ténorissimo dans ce rôle. Mais, même si le ténor américain accuse une fatigue certaine au dernier acte, sa prestation reste exemplaire.

A ses côtés, la soprano (Amelia) possède une voix d'une santé et d'une grandeur exceptionnelle. Chargée d'harmoniques, puissante sur tout le registre, avec une articulation parfaite, elle s'affirme comme une très bonne interprète verdienne. Sa prestance vocale lui permet d'aborder cette difficile partition sans aucune faiblesse. Dans son air Morrò, ma prima in grazia…, elle montre l'exceptionnelle tenue de sa voix. Sa grande taille semble toutefois la gêner théâtralement, tout comme sa très grande voix la retient parfois vocalement. Sans doute que dirigée plus habilement que dans cette production, elle pourra alors exprimer l'entier de son talent qui semble sans limites.

Le baryton (Renato) se plonge dans ce rôle avec la volonté de forcer un peu le trait vocal de son personnage. Dommage, parce que ce faisant il se surprend parfois à ne pas tenir ses aigus dans la justesse. Ainsi dans sa cabalette Eri tu, forçant sa voix au début de son air, la fatigue le gagnant, il peine à moduler la cantilène O dolcezze perdute ! perdant ainsi une grande partie l'intention verdienne de la douceur de ce passage.

Dans les rôles « secondaires », dont l'importance n'est de loin pas à négliger, la soprano (Oscar) offre une brillante prestation. Avec une voix très saine, elle empoigne ce rôle avec une assurance de chaque instant dosant superbement son instrument et son vibrato pour simuler la voix du jeune page. Excellente comédienne, elle campe un personnage sarcastique, sorte de fou du roi moqueur, avec toutes les audaces et les facéties du rôle sans jamais tomber dans la vulgarité. Si son premier air Volta la terrea est magnifiquement chanté, son Saper vorreste di che si veste du troisième acte est un véritable feu d'artifice. Très en verve, la soprano occupe l'espace avec une aisance scénique époustouflante. Tout en lançant les vocalises de son air avec brio, elle saute et virevolte sur la scène sans que jamais son chant n'en souffre d'aucune façon.

Avec une voix trop large, un vibrato insistant, la contralto (Ulrica) déçoit quand bien même sa scène se termine par un Silenzio impressionnant. Peut-être qu'avec un orchestre du Regio moins occupé à souligner avec force le tragique de la situation, la contralto américaine aurait pu moduler sa voix avec plus de sensibilité.

Reste qu'avec ce spectacle le Teatro Regio, qui a la réputation d'être le meilleur théâtre lyrique de la Péninsule, termine en beauté une saison faste et dont la qualité générale des spectacles est à louer.

Crédit photographique : (Riccardo), (Amelia) © Ramella & Giannese

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