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Alisa Weilerstein, violoncelliste

La première fois que a été invitée à se produire à Paris avec un orchestre, c'était en 2010 et elle était pratiquement inconnue. Trois ans plus tard, son style est aussi expressif et intense que jamais, mais cette fois, elle parcourt l'Europe pour promouvoir son premier album chez Decca, avec le concerto pour violoncelle d'Elgar dirigé par . Entretien avec ResMusica, à propos de l'influence de et de Barenboim sur son jeu et sa carrière, de la comparaison entre les années 1950 et aujourd'hui, et aussi pourquoi elle ne tient pas en place quand elle joue de la musique!

« La programmation des concerts est conservatrice et coincée »

ResMusica: Votre premier album comprend le concerto d'Elgar, dont la discographie a été dominée par depuis qu'elle l'a enregistré en 1965. a fait avec elle un enregistrement emblématique au milieu des années 70. D'où est venue l'idée de cet album?

: Jouer ce concerto avec Maestro Barenboim n'est pas quelque chose que j'ai sollicité moi-même. Lorsque j'ai rencontré Barenboim pour la première fois, c'était à sa demande en 2008 à Milan. J'avais essayé de le rencontrer avant, mais cela n'avait pas pu se faire. C'était un rêve de jouer devant lui. Nous avons travaillé 3 heures sur le concerto de Dvořák. En 2009, il m'a demandé de venir à New-York le revoir.

RM: Comment avez-vous eu accès à lui?

AW: J'ai été présentée par Avery Fisher, qui m'a suggéré de jouer le concerto d'Elgar. Je ne voulais pas, car était mon héroïne quand j'étais enfant: quand j'avais 10 ans j'écoutais son enregistrement presque tous les jours, je l'ai entendu des milliers de fois! Avery Fisher a insisté car Barenboim était le meilleur connaisseur de ce concerto. Quand je l'ai joué devant Barenboim, c'était le moment où j'ai été plus émue de ma vie. Il a fait quelques commentaires, puis il m'a proposé de jouer l'œuvre l'année suivante le 1er mai à Oxford avec l'Orchestre philharmonique de Berlin pour l'Europa Konzert. Il l'a dit juste comme ça.

RM: A la fin, vous avez réussi à définir votre propre approche du concerto.

AW: A 12 ans, j'ai arrêté d'écouter les enregistrements de Jacqueline Du Pré, pour me faire mon propre point de vue. Pour la même raison, je n'écoute jamais les enregistrements des œuvres que je joue.

RM: Ce concert d'Oxford a été édité en DVD par EuroArts et toute votre émotion s'y révèle à la fin du concert. Était-ce difficile de rester concentrée en dépit de la pression de l'événement?

AW: Pour des raisons évidentes, jouer ce concerto avec Barenboim et l'Orchestre philharmonique de Berlin est le rêve de toute une vie. C'était tellement intense, mais cela m'a aidé à me concentrer encore plus. Ce que je ne savais pas, c'est que le 1er mai est une grande fête à Oxford pour les étudiants toute la nuit. Mon hôtel se trouvait sur l'avenue principale! Je suis une bonne dormeuse, mais n'ai pas pu trouver le sommeil, le concert était à 10 heures et je devais être là à 8 heures! Je me suis reposée après…

RM: Après le DVD, le CD maintenant…

AW: Initialement j'étais en discussion avec Decca et Sony. J'ai signé avec Decca, et la question des œuvres à enregistrer est venue après. J'ai suggéré à Maestro Barenboim, timidement, «seriez-vous prêt… peut-être que… ». Il a accepté et il a suggéré d'ajouter le concerto d'Elliott Carter.

RM: Ces deux concertos ont très peu en commun…

AW: Je trouve que la combinaison d'une œuvre connue avec une musique nouvelle est intéressante, ces concertos sont radicalement opposés et montrent un côté complètement différent du violoncelle!

RM: Des idées pour les prochains albums?

AW: Le prochain album sera le concerto de Dvořák avec l'Orchestre philharmonique tchèque dirigé par Jiří Bělohlávek, et la suivante proposera des pièces pour violoncelle solo. Le répertoire du violoncelle est trop petit pour que je puisse avoir des œuvres préférées.

RM: Les concertos de Chostakovitch peut-être?

AW: J'ai joué le premier avec Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris en Russie, le jour de mon 30ème anniversaire. C'est une anecdote, mais quand j'ai joué le concerto d'Elgar avec le même orchestre en 2010 à Paris, c'était le jour de mon 28ème anniversaire.

RM: Revenons à Barenboim: il n'est certainement pas une personnalité neutre. Il a osé jouer Wagner en Israël et a été très critiqué pour cela. Il a créé et dirige le East West Divan Orchestra, qui est un pont entre les musiciens palestiniens et israéliens. Ces positions fortes, est-ce quelque chose dont vous préférez rester à l'écart?

AW: J'ai une admiration immense pour cela, je le respecte. J'adorerais jouer avec le East West Divan Orchestra. J'ai joué avec les musiciens, mais c'était juste en répétitions.

RM: J'ai pu vous voir interpréter le concerto d'Elgar à Paris en 2010. Je dois admettre que je ne vous connaissais pas à l'époque, mais j'ai été immédiatement impressionné par l'expressivité de votre jeu et de votre présence scénique.

AW: Cette expressivité est quelque chose de naturel chez moi. Quand j'étais très jeune, j'essayais de jouer des œuvres qui étaient au-delà de mon niveau, et cela a créé des tensions sur lesquelles j'ai dû travailler pour les corriger. J'étais beaucoup plus excessive que ce que je fais maintenant. Je ne pense pas que je joue réellement si je reste tranquille. J'essaye toujours d'impliquer mon corps pour obtenir le meilleur de l'instrument. Pourquoi est-ce que je bouge comme ça? Je ne sais pas.

RM: Vous êtes Américaine, mais votre style d'interprétation semble plus européen. Aux États-Unis, les musiciens ont tendance à se concentrer sur la brillance, la précision, la netteté, tandis qu'en Europe…

AW: Les Etats-Unis sont un pays très vaste avec de grandes différences entre des villes qui sont séparées par des milliers de kilomètres, comme l'Europe. Je n'aime pas les généralisations. Je ne vois pas cela de cette façon. Je vois des différences entre les individus, pas entre les peuples.

RM: Vous avez été invitée à jouer à la Maison Blanche lors d'un concert organisé par Michelle Obama, et Barack Obama était présent. Au-delà de la reconnaissance pour vous, qu'est-ce qu'un tel événement révèle sur l'intérêt de l'élite de la nation pour la musique classique?

AW: Je suis une grand fan d'Obama, j'ai été très heureuse qu'il ait été réélu…

RM: …Cela ne vous dérange pas que je le mentionne dans l'interview?

AW: Non, les gens savent ce que je pense. Les Obama ont ramené la musique à la Maison Blanche, et pas seulement la musique classique. Je n'ai jamais vu les médias américains parler autant de musique classique que pour cette soirée. C'était énorme d'être là.

RM: Êtes-vous préoccupée par le fait que le cœur de cible de la musique classique est vieillissant, et que la réponse des orchestres et des institutions ne répond pas à ce défi?

AW: Oui, la programmation des concerts est conservatrice et coincée. Mais de nos jours des compositeurs réussissent dans des styles différents. Aux États-Unis, les gens sont ouverts à différents styles de musique contemporaine. Le Sistema au Venezuela a démontré que la musique n'est pas seulement une forme d'art, mais un changeur social. Et il se répand aux États-Unis, en Ecosse, en Croatie, je suppose en France ainsi …

RM: En France? Non … Nous étions très optimistes quand Paavo Järvi a commencé en tant que directeur musical de l'Orchestre de Paris, nous pensions qu'il allait apporter un changement dans la programmation, mais nous n'avons pas vu se passer grand-chose… Viendrez-vous jouer avec Järvi à Paris?

AW: Oui, le concerto de Prokofiev. Ce n'est pas une œuvre contemporaine, mais c'est déjà quelque chose …

RM: Avez-vous le projet de vous faire la championne de compositeurs contemporains?

AW: Oui, je travaille avec quatre compositeurs qui n'ont rien en commun mais qui ont tous beaucoup de succès, Matthias Pintscher – Je vais créer son concerto Reflections on narcissus en 2015, Lera Auerbach, Joseph Hallman et Osvaldo Golijov. Osvaldo aime travailler avec ses interprètes, il m'a fait jouer pour lui Bach, Kodály, et il a composé ensuite. Joseph est parmi mes meilleurs amis.

RM: Votre carrière semble centrée sur les Etats-Unis et en Europe, qu'en est-il en Asie?

AW: Je joue régulièrement, j'ai fait une tournée de quatre semaines, à Hong-Kong, en Australie, mais c'est très loin…

RM: Vous êtes sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, comme on peut s'y attendre. Quel est votre avis sur ces outils?

AW: J'ai un compte pour la promotion, et un autre pour mes amis. J'espère que cela humanise l'artiste.

RM: Dans l'ensemble, vous êtes positive sur l'avenir de la musique classique?

AW: Le temps que nous vivons est très intéressant. Dans les années 50, vous ne pouviez composer que dans un seul style. Aujourd'hui, il y a tellement d'options possibles!

Crédit photographique: © Decca / Harald Hoffman

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