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Bouffes du Nord : Ciné-concert avec l’ensemble Court-Circuit

Sous la direction de son chef , l' était sur la scène des Bouffes du Nord, ce dimanche 7 avril, installé côté cour pour laisser le champ libre au grand écran et à l'image. S'emparant de deux chefs d'oeuvre du cinéma muet que l'on (re)découvrait à cette occasion, les compositeurs et ont écrit une partition destinée à être jouée en simultané avec le visionnage du film; une situation assez singulière dans la mesure où le son contrepointe l'image sans jamais s'y fondre totalement.

De , surnommé le Rimbaud du cinéma – il meurt à 29 ans d'une septicémie – A propos de Nice (1929) est un film documentaire de 23′, d'une puissance évocatrice fulgurante, dans lequel le cinéaste, secondé par Boris Kaufman – frère du génial Dziga Vertov – fait passer toute son énergie, son humour et sa rage au gré du flux et reflux des images de cette ville balnéaire: celle de la promenade des anglais où il filme une bourgeoisie oisive qu'il ridiculise – ou s'amuse à déshabiller lorsque l'envie lui prend – et celle du peuple dont il dénonce la misère. Avec les images du Carnaval au dernier tiers de la bobine, le rythme s'accélère en un presto delirando basculant dans une sorte de danse macabre d'une intensité quasi expressionniste.

élabore un contrepoint sonore à la hauteur de l'image, un flux musical que l'on serait parfois enclin à écouter pour lui-même tant l'oreille est happée par la beauté des textures, entre lissage et distorsion. En maître du temps et de la couleur, il imprime sur l'écran un mouvement et un espace singuliers, avec un zeste d'humour qui crée la distance. L'agitation un rien frénétique de la musique accompagnant le sommeil des vieux messieurs ou la partie de piano désaccordée sur fond de misère populaire créent des effets saisissants. Le compositeur est davantage synchro avec l'image dans la dernière partie où l'alternance du temps pulsé et du temps lisse en souligne l'inquiétante étrangeté.

Les Hommes le dimanche (1929) de est construit sur une trame narrative même si le film relève aussi du documentaire. Il participe du courant de « la nouvelle objectivité » qui voit le jour dans les années trente en Allemagne. Cette période correspondant à la République de Weimar jouit d'une relative prospérité et d'une expansion économique telle que la filmera Walter Ruttmann en 1927 dans son film Berlin, symphonie d'une grande ville. Les Hommes le dimanche témoigne du quotidien de la vie des Berlinois et plus particulièrement de la trêve du dimanche. C'est « un film sans acteurs », prévient le cinéaste, à savoir que les deux hommes et les deux femmes (plus Annie restée dans sa chambre) qui interviennent dans cette partie de campagne, doublée d'un jeu amoureux, ne sont pas des acteurs professionnels et se confondront, après le tournage, « aux quatre millions de gens qui attendent le prochain dimanche ». Si Siodmak filme les rues de Berlin, le lac, les baigneurs, il multiplie les gros plans des visages longuement fixés pour capter l'expression des traits et des regards, un des ressorts les plus fascinants du cinéma muet.

L'entreprise d' est redoutable, en raison de la longueur (quelques 90′) d'un film qui étire le temps et aplanit les reliefs. Pianiste et improvisateur de haut vol (il enseigne l'improvisation générative au CNSMDP), le compositeur est sur scène, au jardin, devant un piano droit sur lequel il intervient à certains moments-clé, élaborant une dramaturgie sonore originale au sein d'une écriture très exigeante où se confrontent les langages sonores, dans un aller-retour assez subtil entre un espace d'écoute et l'autre. La musique se coule ici dans un flux d'images dont elle cerne plus directement le rythme et la poésie.

Très investi dans cette tâche délicate où il s'agit d'être réactif à l'image qui défile sur son propre écran, relève magnifiquement le défi aux côtés de musiciens exemplaires jouant, dans l'ombre de la scène, deux partitions d'une éclatante richesse.

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