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A Turin, le meilleur ne fait pas forcément un Don Carlo

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Turin. Teatro Regio. 14-IV-2013. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en quatre actes sur un livret de François-Joseph Méry et Camille du Locle, traduit par Antonio Ghislanzoni. Mise en scène, décors et costumes : Hugo de Ana. Chorégraphie : Leda Lojodice. Lumières : Sergio Rossi. Reprises par Filippo Tonon (mise en scène), Juan Guillermo Nova (scènes), Cristina Aceti (costumes) et Andrea Tocchio (lumières). Avec Ramón Vargas, Don Carlo ; Ludovic Tézier, Rodrigo, Marchese di Posa ; Daniela Barcellona, Principessa Eboli ; Svetlana Kasyan, Elisabetta di Valois ; Ildar Abdrazakov, Filippo II ; Marco Spotti, Il Grande Inquisitore ; Roberto Tagliavini, un moine ; Sonia Ciani, Tebaldo ; Erika Grimaldi, une voix du ciel. Orchestre et Chœur du teatro Regio de Turin (chef de chœur : Claudio Fenolio). Direction musicale : Gianandrea Noseda.

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Le 200e anniversaire de la naissance de Verdi coïncidant avec celui des quarante ans de la réouverture du Teatro Regio totalement détruit par un incendie en 1936 (il aura fallu 37 ans pour le reconstruire !), l'occasion était trop belle pour cette maison d'opéra, considérée à juste titre comme l'une des meilleures d'Italie d'offrir à son public un beau cadeau avec la reprise de la fastueuse production du Don Carlo déjà monté lors de sa saison 2006.

L'occasion de cette production turinoise est trop belle pour ne pas réunir la crème de ce qu'on peut imaginer aujourd'hui capable d'interpréter ce monument de l'art lyrique. Les petits plats dans les grands. D'entrée, le rideau de scène appelle à l'admiration. Sur un voile de tulle noire tendu, une peinture en trompe l'œil laisse apparaître le pan majestueux d'un drapé de lourd tisssu bleu-roi aux motifs de fils d'or bordé d'un bandeau aux armes de la maison de Philippe II. S'annonce déjà l'enchantement visuel. Dès le lever de rideau, le décor, les costumes et les éclairages forcent l'enthousiasme. Quel faste, quelles couleurs, quel soin du détail, quel souci du beau ! C'est du grand art. ressuscite l'opéra dans toute sa splendeur. Dans ses ors, dans le rêve, dans la tradition. La scène de l'autodafé, avec le couronnement interrompu de Philippe II, la cohorte des dignitaires de l'Eglise coiffés de tiares somptueuses, réunissant une foule de gens, soldats agitant des drapeaux, devant l'imposant décor d'un frontispice d'église est à couper le souffle.

Dans la fosse, le plus impétueux des chefs, le plus musical des orchestres. conduit son orchestre du Teatro Regio pour le porter vers les éclats musicaux les plus colorés, les nuances les plus subtiles, les climats les plus sombres ou brillants, exposant avec verve la magnificence de la partition verdienne. Sur la scène, le chœur du Regio est, lui aussi, investi par la musique du maître de Busseto. Scéniquement très bien dirigé, son imposante masse entre et sort de scène comme par magie.

Du côté de la distribution, là encore le plateau est somptueux. Le Regio met en scène quelques-uns des meilleurs chanteurs verdiens actuels. A l'affiche le ténor , le baryton , la soprano Barbara Frittoli, la mezzo .

Et pourtant, malgré tout ce déferlement du meilleur possible, la sauce ne prend pas. L'émotion n'est pas au rendez-vous. La faute à un manque évident d'approfondissement des enjeux entre les personnages, comme de l'investissement de chacun pour exprimer le drame. Le théâtre n'est pas là. Les responsables de la reprise de la mise en scène originale de 2006 n'ont pas su utiliser les solistes pour ce qu'ils sont mais les ont projetés dans l'action sans suffisamment tenir compte de leur personnalité propre. Seuls ceux dont l'intelligence musicale est évidente restent toujours « justes » dans leurs actes.

Parce que le geste, parce que l'intention, parce que la tension dramatique n'ont pas été assez fouillés, on se contente donc de chanter. Qui mieux, qui moins bien, en fonction de son métier, de son talent, voir de son art. Certes, certaines scènes sont bien investies. A l'image de la rencontre entre Philippe II et le Grand Inquisiteur. Après un très beau « Ella gammai m'amo », qu'Ildar Abradzakov (Philippe II) chante avec une touchante simplicité et sans jamais forcer le trait, l'entrée de Marco Spotti (Le Grand Inquisiteur), le transforme subitement dans les sentiments de crainte devant l'autorité puissante de l'Eglise et le désir de vengeance du roi devant l'évidence amoureuse de son fils pour la reine. Sa voix s'assombrit alors et se mélange avec celle de l'Inquisiteur au point qu'il devient difficile de relever de quelle bouche sortent les mots. Etrange et magnifique sensation de lutte des pouvoirs. Pour le reste des scènes où il est impliqué, ce Philippe II ne laisse jamais paraître son caractère profond, ni ses états d'âme.

Certes, le talent de certains cherche à « secouer le prunier » de la théâtralité manquante. Sans grand succès. Ainsi, le baryton français (Rodrigo, Marchese di Posa) distille à tous les instants l'excellence de sa voix, la beauté de son phrasé et la clarté de sa diction. Faisant de sa prestation la meilleure du plateau, c'est un régal de l'entendre. Jamais dans la démonstration, offrant l'intelligence de ses plus belles nuances au service du texte et de la musique de Verdi, il devrait galvaniser ses collègues. Mais, las ! Tout comme la mezzo italienne (Eboli) toute de véhémence et d'intensité. L'outrage des ans semble n'avoir aucune prise sur sa voix. Admirable, sa forte personnalité superbement canalisée, elle se dédie au personnage. Délaissant les contraintes techniques de la voix et les canons des conservatoires de musique pour la seule expressivité du texte, elle campe une Eboli de grande classe.

Malgré l'investissement de ces solistes, le couple Don Carlo-Elisabetta ne convainc pas. Barbara Frittoli souffrante est remplacée par la soprano (Elisabetta) –en tête de la deuxième distribution-. A sa décharge, projetée dans cette distribution, un peu à l'improviste, alors que sa première représentation ne devait avoir lieu que deux jours plus tard, on peut comprendre que le trac de la « première » l'a empêchée de donner le meilleur d'elle même. Dès les premières mesures, on sent que sa voix peine à « sortir ». On tend l'oreille, on se regarde dans le public, et quelques remarques de « tifosi » se font entendre par-ci par-là. Petit à petit, elle prend confiance et laisse entendre une voix bien construite quoique encore manquant de nuances. Le métier pourvoira à cette déficience de jeunesse. On regrette cependant son manque d'engagement tout au long de l'œuvre se réservant pour son air « Tu che le vanità » final qu'elle chante à pleine voix. Un peu de fatigue vocale accumulée pendant le déroulement de l'action, l'aurait certainement amenée à plus de nuances.

A ses côtés, le ténor (Don Carlo) déçoit quelque peu. Si vocalement, son instrument est encore capable d'éclats sonores, d'aigus bien amenés même si souvent serrés, il chante aujourd'hui tout en force, cassant une ligne de chant qu'on espère plus musicale et apte à s'approprier l'esprit du personnage et de l'action. Pas très bon acteur, sans direction, il s'engage dans des gestes ne correspondant en rien à sa personne le rendant parfois totalement gauche, voire ridicule. De ce fait, à aucun moment on ne sent l'amour passer entre lui et Elisabetta.

Malgré ce déficit de direction d'acteurs, ce manque d'investissement théâtral par une probable absence de travail dramaturgique profond, ce Don Carlo reste un spectacle dont la beauté esthétique est tout à fait remarquable. Le public a réservé ses acclamations les plus chaleureuses d'abord à la musique de Verdi, dont il a ovationné les airs puis aux solistes dont le français s'est offert la part du lion. Triomphe également, mais cela devient presque un lieu commun de le souligner, pour le chef qui souligne si magnifiquement l'intensité de ces pages verdiennes.

Crédit photographique: Sonia Ciani (Tebaldo), (Eboli) ; (Filippo II) © Ramella&Giannese – Teatro Regio

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Turin. Teatro Regio. 14-IV-2013. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en quatre actes sur un livret de François-Joseph Méry et Camille du Locle, traduit par Antonio Ghislanzoni. Mise en scène, décors et costumes : Hugo de Ana. Chorégraphie : Leda Lojodice. Lumières : Sergio Rossi. Reprises par Filippo Tonon (mise en scène), Juan Guillermo Nova (scènes), Cristina Aceti (costumes) et Andrea Tocchio (lumières). Avec Ramón Vargas, Don Carlo ; Ludovic Tézier, Rodrigo, Marchese di Posa ; Daniela Barcellona, Principessa Eboli ; Svetlana Kasyan, Elisabetta di Valois ; Ildar Abdrazakov, Filippo II ; Marco Spotti, Il Grande Inquisitore ; Roberto Tagliavini, un moine ; Sonia Ciani, Tebaldo ; Erika Grimaldi, une voix du ciel. Orchestre et Chœur du teatro Regio de Turin (chef de chœur : Claudio Fenolio). Direction musicale : Gianandrea Noseda.

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