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A Lyon, Capriccio subtil et émouvant

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Lyon. Opéra de Lyon. 15-V-2013. Richard Strauss (né en 1864-1949), Capriccio, une conversation en musique, en un acte, sur un livret de Richard Strauss et Clemens Krauss. David Marton, mise en scène ; Barbara Engelhardt, dramaturgie ; Christian Friedländer, décors et costumes ; Henning Streck, lumières. Avec : Emily Magee, La comtesse ; Christoph Pohl, Le comte ; Lothar Odinius, Flamand ; Lauri Vasar, Olivier ; Victor von Halem, La Roche ; Michaela Selinger, La Clairon ; Elena Galitskava, Une chanteuse italienne ; Dmitry Ivanchev, Un chanteur italien ; Christian Oldenburg, Le majordome ; François Piolino, Monsieur Taupe. Chœur masculin de l’Opéra de Lyon, Orchestre de l’Opéra de Lyon, Bernhard Kontarsky, direction musicale.

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Capriccio n'est pas le plus évident des opéras.

Le metteur-en-scène actuel doit être un grand amnésique : des affèteries extrêmes, dont Elisabeth Schwarzkopf (son mari en fit la première comtesse « intégrale » au disque) fut le modèle initial ; de l'idéalisation d'un réputé âge d'or (le Paris artistique au temps du Siècle des lumières) ; et de l'énigme historique qui opacifie cet ouvrage (achevant de l'écrire en 1942, fut-il aveugle ou cynique à l'égard de cette Europe que le IIIe Reich ravagea) ? Sans oublier une ample durée (deux heures-et-demie sans entracte). Pas plus qu'un livret par lequel, au travers de débats esthétiques rebattus et peu appropriés à l'institution lyrique bourgeoise, le compositeur désire y repenser, à lui seul, toute l'histoire de l'opéra, depuis l'Euridice de Peri, en passant par l'art de Gluck, jusqu'à … ses propres œuvres. Avec maestria, cette production a contourné ces obstacles.

Trop peu connu en France, compte au nombre des grands metteurs en scène européens, au même titre que Christoph Marthaler ( travailla à ses côtés durant plusieurs années), Thomas Ostermeier ou Krysztof Warlikowski. Maître ès radicalités idéologiques et lectures inquiètes, il a révélé, pour sa première production lyrique, une liberté et une intelligence souveraines.

Dès son début, le spectacle est en apesanteur : pour que chaque spectateur concentre son attention sur sa seule ouïe, le capiteux et nostalgique sextuor initial (en l'occurrence, interprété avec une chaleureuse précision) est joué derrière le rideau de scène, tandis que l'œil se contente, pour seule proposition visuelle, d'une nue ampoule de service.

L'art scénique de procède par d'imperceptibles mais pertinents glissements et détournements. Comme dans le théâtre de Feydeau, respecter les didascalies est essentiel mais les décaler est primordial. D'un coup, le livret de Capriccio se révèle profond, et riche d'abyssaux niveaux de lecture ; les débats esthétiques n'y sont plus détachés des jeux de séduction, soudain suavement cruels. Surgit une société, dont la conversation est, simultanément, le mode de fonctionnement et le mélancolique abyme (ou horizon, chacun choisira). L'originalité de cette production est que l'action théâtrale n'a ni « patron » ni « patronne » mais, avec indolence, avance au gré d'instantanés désirs et de élans individuels au sein d'une société où chaque personnage n'est ni principal ni accessoire. Pour réaliser cet entrelacs (au cinéma, on parlerait d'un film « choral »), David Marton voit large et dans la longue durée. Sans être une nouveauté (la coupe transversale d'une salle de spectacle, avec plateau, fosse et salle de spectacle, avec orchestre et balcons et loges), le décor est utilisé, avec virtuosité, dans ses moindres recoins, que rehaussent des costumes et des costumes singulièrement subtils. Et lorsque des effets ne sont pas inconnus (par exemple, à mesure que la fin de l'opéra approche, le plateau est saturé de plantes vertes), ils sont réalisés avec une imperceptible douceur qui les rend évidents. Au sens de Vilar ou de Vitez, voici une mise-en-scène discrète mais indispensable, que règle une horloge silencieuse mais précise. Telle poésie de l'exactitude chère à Paul Valéry, cette production touche juste et émeut profondément.

La direction d'acteurs a poursuivi cette haute subtilité. D'autant plus que chacun y a offert une disponibilité sans faille. (La comtesse) exempte son travail de tout narcissisme et sculpte une femme palpitante et éperdue ; l'organe vocal est riche sans être énorme et travaille en raffinement, moins en véhémence. Son ultime scène est à l'image de son travail : une moirure de sentiments plus qu'une impérieuse volonté. Le chevronné (La Roche) fut à l'unisson : fort subtile, sa colère passa imperceptiblement de l'ire au spectacle de son propre emportement. Grâce à , le rôle du Comte, ordinairement rendu subalterne, prend, ici, un relief troublant, tant il peine à tenir une distance sensée avec sa sœur, entre indépendance et inceste. L'alternative amoureuse (Flamand et Olivier) de La comtesse est tout aussi bien cernée, là encore leurs titulaires (notamment , titulaire, il y a peu et dans cette même salle, du rôle-titre dans Il prigioniero de Dallapiccola) y contribuent grandement. Jusque dans les trois comprimari (les deux chanteurs italiens et La Taupe), cette distribution vocale est accomplie.

Manifestement, l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, qui a sonné avec une délicieuse liberté, a été ravi de retrouver , après la triade Von Heute und Morgen – Une tragédie florentine –Sancta Susanna donnée ici même en regard du Trittico puccinien. Outre la complicité de chaque instant qu'il a établie avec/entre la scène et la fosse, ce chef d'orchestre a fait de Capriccio un idéal moment de musique de chambre. Ce simple mais exhaustif compliment dispense de tout autre.

Crédits photographiques : (La Clairon); , (Le comte) & (La comtesse) © Jean-Pierre Maurin

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