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Les jeunes interprètes investissent la scène de la Meije

Le premier concert dans l'église de La Grave mettait en vedette le pianiste , fortement sollicité au sein d'un programme qui rendait un hommage appuyé à décédé en décembre dernier.

Notre pianiste prenait la parole pour présenter sa pièce Purgatory pour piano seul, une oeuvre questionnant la mémoire et truffée de citations (Bach, Schumann, Liszt, Schoenberg…) charriées dans un vaste espace de résonance qu'elles animent et colorent toute à la fois. Avec une belle autorité sonore et un engagement total dans le geste, communique la force et l'étrangeté de cette longue trajectoire qui s'abîme dans le registre grave du clavier. Avec sa partenaire altiste Marine Glandon, il donnait ensuite en création française Hymn to Night, une pièce récente (2010) d' dont l'écriture exigeante et un rien austère finit par lasser l'écoute n'était cette fin aussi inattendue que réussie, fort bien négociée par nos deux interprètes. En solo, très convaincante nous ramenait à l'univers de avec Curve with Plateaux; le titre qui interroge est peut-être lié aux sonorités extatiques et subliminales qu'elle tire avec beaucoup de délicatesse de son violoncelle dans une première partie presque silencieuse. La deuxième est plus courte et très contrastée, avec les rebonds véhéments de l'archet sur la corde qui semblent restituer les gestes d'un rituel étrange. De la dernière pièce du jeune prodige – pianiste et compositeur anglais, élève d'Alexander Goehr à Cambridge – aurait sans doute dit « qu'elle n'était pas entendue ». Son quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle, sous la ferme conduite du premier violoniste Da-Min-Kim, relève en effet davantage du projet conceptuel, celui de faire vivre plusieurs couches sonores en autonomie, dans des tempi et des conduites rythmiques singulières. Le résultat sonore laisse dubitatif, tout comme l'idée d'insérer le projet dans le moule éculé d'une forme Sonate!

Le deuxième concert à l'église des Terrasses, que les plus courageux atteignent au terme d'une petite heure de marche depuis La Grave, mettait au centre de la scène l'accordéon de Fanny Vicens, jeune virtuose d'un instrument dont on ne fait que découvrir l'étendue de la palette sonore. C'est à Trossingen, où elle va se perfectionner auprès des grands maîtres de l'accordéon, qu'elle découvre la Passacaille de , une partition inédite qu'il écrit à l'âge de 20 ans et qu'il créé lui même alors qu'il étudie l'accordéon. Cette pièce sans prétention, construite sur le principe de la basse obstinée, dégage une véritable émotion dans l'interprétation très sensible qu'en donne Fanny Vicens. Elle se joignait à Marine Gandon, alto, dans Peigner le vif de , un compositeur qui aime beaucoup l'accordéon, dans ses registres extrêmes ou dans l'action même de son soufflet générant tout un univers bruité. Peigner le vif  – le titre est déjà un enchantement !– est  écrit en 2007; la pièce joue sur l'ambiguité des sources sonores enrichies par la voix des deux instrumentistes: « qu'est-ce donc qui lie alto et accordéon, d'origines et de paysages si dissemblables?» interroge le compositeur: « mêmes possibilités de tenir un son sans fin, de fuiter le timbre par un souffle égal ou vibré, même puissance de respirer… ». Autant d'actions sonores exécutées par les deux musiciennes qui nous mettent à l'écoute du son, dans un cadre intimiste d'une grande sensualité. Louange II pour violon, violoncelle et accordéon de la norvégienne Maja Svleg Ratkje qui s'inscrivait à la suite du programme est un hommage à Messiaen et à sa Louange à l'éternité de Jesus, 5ème mouvement du Quatuor pour la fin du temps: « l'intention n'est pas de réécrire cette musique mais plutôt une tentative pour construire quelque chose de nouveau » écrit la compositrice. Constance Ronzatti (violon), et Fanny Vicens très solidaires donnaient à cette libre trajectoire souplesse et chatoyance. Après le trio à cordes (2004) de , une pièce haute en couleurs où le violoncelle est utilisé comme un tambour de bois, les cinq instrumentistes de la soirée – en tête – se retrouvaient pour donner cinq des huit mouvements de Fetzen de . L'accordéon est ici au centre du dispositif et donne les impulsions premières, tels ces « coups de soufflet » relayés par les coups d'archet des quatre cordes. Cette pièce magnifiquement écrite mobilisait toutes les énergies pour en exprimer la puissance et l'inventivité.

Si le département du DAI n'existe pas encore au CNSM de Lyon, le désir des jeunes interprètes d'aller vers la musique d'aujourd'hui n'en est pas moins là; en témoigne cette initiative, portée par , professeur de piano au CNSM de Lyon, de monter un programme contemporain avec quatre étudiants, dans le cadre du Festival Messiaen. A l'affiche, la musique du Maître de la Grave et celle de ses élèves (Benjamin, Goehr, Murail, Louvier) et celle d'un grand pédagogue étasunien de la côte Ouest, .

La flûtiste Eva-Nina Kozmus et Antoine Ouvrard débutaient par Le Merle noir, oeuvre culte du répertoire contemporain de la flûte dont les deux instrumentistes en parfait équilibre sonore donnent une version exemplaire. On appréciait la qualité du timbre et la précision du jeu de Eva-Nina Kozmus dans Flight (1979) de , une pièce fulgurante qui projette la ligne énergétique vers l'aigu le plus tendu avant de relâcher progressivement la tension et retrouver la sensualité du son. A 19 ans, Benjamin regarde vers le courant spectral et son ainé , dont on entendait ce soir Les ruines circulaires pour clarinette et piano, une pièce aussi courte que concentrée sollicitant l'étroite complicité de Louise Marcillat et de Tristan Liehr. Elle a été créée au Festival Messiaen en 2007. Murail y fait « circuler » le son entre le violon et la clarinette; les instruments se relaient et fusionnent en une trajectoire ondulante menant à la saturation du son exprimé par l'accord complexe des deux instruments qui s'immobilisent. Dans un projet compositionnel tout autre où le développement organique du discours musical prévaut, Suite pour violon et piano d'Alexander Goehr interprétée par Tristan Liehr et Antoine Ouvrard précédait Toccata di Luce d' ; la pièce  termine, dans sa version pour piano seul, le cycle « L'Isola dei Numeri ». Dans cette version pour piano et violon de 2001, la partie de piano exploite au maximum les capacités résonnantes de l'instrument; elle accueille les sonorités du violon en sourdine, comme une résultante harmonique lointaine qui absorbe peu à peu tout l'espace de résonance. Antoine Ouvrard très exposé, jouant même des avant-bras, faisait surgir de son piano un univers harmonique complexe et coloré.

Hors thématique mais d'un pouvoir de séduction immédiat par les subtils effets de timbres qu'elle sait susciter, la musique de réunissait pour finir les quatre instrumentistes à l'oeuvre dans Eleven Echoes of Autumn. Avec ces onze miniatures générant autant d'états différents de la matière sonore, ils nous immergeaient dans un monde poétique nourri d'évocations lointaines et de résonances étranges sollicitant les modes de jeu instrumental les plus divers; mais cette musique est aussi expérience métaphysique pour le compositeur – et l'auditeur qui veut bien le suivre -, laissant aux interprètes une marge de liberté dans cette quête sonore « pour contempler les choses éternelles ».

Crédit photographique : © Colin Samuels

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