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Festival d’Ile-de-France : La Fureur d’Aimer d’Edith Canat de Chizy

Sous les augustes voûtes de la nef du Collège des Bernardins, le Festival d'Île-de-France nous conviait à un concert-évènement, qui « confrontait » des oeuvres médiévales, renaissantes et baroques à la création d' (lire notre entretien), Hadewijch d'Anvers, du nom de la poétesse et mystique flamande du XIIIème siècle auteure des textes poétiques retenus par la compositrice.

Notons tout de suite que cette variété de styles et d'époques reflète idéalement la démarche de l' et de leur chef qui, rétif à toute idée de spécialisation, s'attache à dresser des ponts entre ce qui fut, et qui pourrait nous sembler lointain, devenu comme étranger, et ce qui est. Pour ce faire, le lien est tout trouvé : il s'agit de l'émotion particulière, comme irréductible aux concepts de temps et d'espace, qui se dégage d'une voix qui chante.

Par-delà ce parti-pris, on objectera que si la voix est une, les styles, eux, sont pluriels. Et c'est là que le programme se révélait d'un grand équilibre, nous offrant, à défaut de la « confrontation » annoncée, forcément stérile car vouée au statu quo, un véritable dialogue entre la création et le reste du programme, encore aidé par l'entremêlement des oeuvres. Ce dialogue se nouait bien entendu autour de la thématique des textes, cet amour divin qui s'exprime chez les mystiques de façon fort érotisée quelquefois, mais il se nouait aussi autour des modalités de mise en musique de ces textes, avec le recours de part et d'autre à des madrigalismes et à l'imitation syntaxique (chaque idée littéraire suscite un motif musical particulier, repris en imitation par l'ensemble, et ainsi de suite), ce qui a nécessairement des conséquences sur le traitement de l'effectif vocal.
Témoins de l'époque médiévale, les deux pièces de ouvraient le concert sous de bons auspices. La première, O splendidissima gemma, nous permettait d'apprécier la chaleur et la musicalité du timbre de la mezzo-soprano , dont les mélismes autant complexes que maîtrisés étaient discrètement soutenus par un ison de la viole de gambe. Il s'agissait de lâcher prise et de se laisser guider. La seconde, Caritas abundant omnia, se révélait passionnante, par un savant effet de ramifications – probablement la contribution de à l'oeuvre – qui n'était pas sans rappeler la manière de Xenakis, les dissonances crues en moins. Les trois voix féminines, parties à l'unisson, déviaient au fur et à mesure, gagnant leur autonomie en même temps qu'elles enrichissaient la polyphonie. Effet garanti, et mention spéciale pour le timbre éthérée de la soprano .

Pour ce qui est des oeuvres représentatives de la Renaissance, il faut avouer que les variations instrumentales d'Ortiz, bien qu'élégamment jouées par , nous laissèrent tout d'abord de marbre, cependant que l'intérêt musical se concentrait dans la pièce suivante, Zain de Morales, une oeuvre polyphonique dense, au ton altier.

Seul point négatif du programme à notre sens, le célèbre « Duo seraphim clamabant » extrait des Vêpres de Monteverdi, exemple s'il en est de rhétorique musicale, dont les nombreux et redoutables traits, les martellato qui nous semblent toujours si curieux à l'écoute, mettaient visiblement à mal la technique des chanteurs. C'était sans grand mal, vu l'engagement vocal des interprètes par ailleurs.

Pour sa création, Edith Canat de Chizy, nous l'avons dit, s'est appuyée sur des extraits de poèmes mystiques. Il va sans dire que ce genre de textes se laisse difficilement approcher, l'apparente simplicité du ton masquant la pluralité des sens, dont nous ne possédons pour ainsi dire plus les clés. La compositrice l'a bien compris, qui ne s'attache pas à mettre en musique le texte de façon linéaire, mais le condense, le fragmente, se concentre ponctuellement sur une expression avant de la laisser, effectue des allers et retours … Toute référence à Aperghis est néanmoins rapidement écartée ; l'art d' est moins virtuose dans son traitement des phonèmes et des voix, moins systématique. Le texte, s'il se fait musique, n'en reste pas moins ici un porteur de sens, immédiatement accessible à l'auditeur.

D'un point de vue général, l'oeuvre est partagée en trois parties bâties de façon séquencée, toutes unies cependant par une logique thématique et musicale. La première est en effet réservée aux voix de femmes, la seconde aux quatre voix masculines, et la dernière réunit l'ensemble de l'effectif, le tout discrètement accompagné par l'archet de . Simple, logique et efficace.

Sous ses dehors très simples se cachent des moments de poésie, heureusement révélés par l'interprétation. On pense notamment aux imitations en strette de la première partie, qui créent des effets d'écho assez vertigineux, ou aux passages récités rythmiquement par dans la deuxième partie, très expressifs. L'ensemble des Solistes XXI s'y révélaient excellents musiciens, couvés du regard et délicatement guidés par .

Une ovation, amplement méritée, saluait comme de juste tant la compositrice, présente, que les interprètes.

Crédit photographique : Solistes XXI © Francis Pearron

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