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Yannis Pouspourikas, chef d’orchestre européen

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Le chef d'orchestre Yannis Pourspourikas est, depuis cette rentrée, Premier Kapellmeister à l'opéra d'Essen, en Rhénani e. Né en France, ayant vécu en Suisse, il a été également actif au Vlaamse Opera d'Anvers et Gand, il y a collaboré à des productions lyriques majeures des dernières saisons, telles que Grandeur et décadence de la ville Mahagonny de Kurt Weill avec Calixo Bieito, Candide de Bernstein avec Nigel Lowry. Cet artiste, foncièrement européen, est toujours à son aise quand l'art dépasse les frontières.

yannis pouspourikas 2013a«  « L'ennemi, c'est l'autre » ? Non, l'intérêt, c'est l'autre. »

ResMusica :   Vous êtes, depuis cette rentrée, Premier Kapellmeister, à l'opéra d'Essen, en Allemagne. Comment devient-ton « Maître de Chapelle » à Essen ? Quelles sont les fonctions liées à ce poste ?

 : On devient Kappellmeister à Essen par concours, et par réputation. Par concours, car l'orchestre a invité plusieurs chefs à venir les diriger. Les musiciens ont ensuite voté et l'intendant, Hein Mulders a  validé ce choix. Par réputation, car de très nombreux chefs ont postulé. Très peu ont été invités. Et cette première présélection s'est donc faite en tenant compte des parcours déjà effectués, et des réputations. Le poste est extrêmement intéressant, je dois diriger de tout: du ballet, des opéras, mais également des concerts symphoniques avec le fantastique Essener Philharmoniker. Je dirige en tout aux alentours de soixante représentations lors de cette première saison.

RM : Essen possède un opéra dont les plans ont été dessinés par le grand architecte finnois Alvar Aalto. Est-ce que le  fait de diriger dans un chef d'œuvre de l'un des plus grands architectes du XXe siècle engendre des sensations particulières ?

YP : Oui, sans aucun doute. Le travail d'artiste consiste à pousser des idées, à des messages à un public, à dépasser les esthétiques. Je ressens cela de manière extrêmement claire également en voyant le bâtiment !  C'est pour moi une piqure de rappel quotidienne des raisons pour lesquelles je fais ce métier. Et de plus, l'acoustique du théâtre  est véritablement exceptionnelle. Mais il faut aussi dire que  la Philharmonie voisine (les deux bâtiments sont juste séparés par un parc) est aussi très réussie.  La présence de ces deux salles en dit beaucoup sur l'importance de la musique à Essen.

RM : Essen est une ville que l'on connait plus pour sa puissance industrielle et économique, que pour ses institutions culturelles. Pourtant, son opéra est très réputé en Allemagne. Pouvez-vous nous décrire l'esprit de cette maison ?

YP : Je peux essayer de vous donner mes premières impressions.  Le théâtre allemand me semble très libre, plus parfois que celui du monde francophone. Les gens sont prêts « à essayer ». Comme en Flandres d'ailleurs ! Ils sont de plus extrêmement professionnels, très responsabilisés, et nous parlons d'une maison qui en plus joue beaucoup. L'immense atout que je ressens est que la « structure », la mentalité étant tellement nette et forte, je peux mettre toute mon énergie à être créatif. La maison n'a pas besoin de trop d'effort pour très bien fonctionner.

RM : En Belgique, vous avez été l'un des piliers du Vlaamse Opera d'Anvers et Gand. Quel bilan tirez-vous de votre expérience auprès des formations orchestrales et chorales de cette maison ?

YP : Ce fut une expérience fantastique, et j'en tire un bilan absolument positif. Cinq saisons, à étoffer les rapports avec les chanteurs du chœur, les musiciens de l'orchestre. Un très beau chemin, souvent couronné de succès et avec l'appui de l'Intendant, Monsieur qui sait faire des choix très clairs pour sa maison, et dont on peut être fier. Le fait d'être à la fois et avec le chœur et avec l'orchestre m'a souvent mis au centre du travail créatif, d'ailleurs pas seulement pour la musique, mais aussi pour le théâtre. Je crois que j'en sors avec une vision encore plus « théâtrale » de ce qu'est l'opéra pour moi aujourd'hui.

RM : Le Vlaamse Opera est souvent cité pour ses mises en scène audacieuses et avant-gardistes. Comment se sont passées les collaborations avec les metteurs en scène ?

YP : Les collaborations se sont passées à se comprendre mutuellement ! D'une manière ou d'une autre, j'ai été ces dernières saisons de tous les projets fous ou particuliers de l'opéra des Flandres. Et il y en a eu beaucoup ! Que ce soit Grandeur et décadence de la ville Mahagonny de Kurt Weill avec Calixo Bieito, Candide de Bernstein avec Nigel Lowry, la Flûte enchantée de Mozart avec David Hermann, ou l'Intruse de Dirk d'Ase avec Stef Lernous. Et actuellement la reprise que nous préparons pour le Théâtre du Luxembourg de la Forza del destino de  Michael Thalheimer… Et je suis convaincu que cela ne s'est pas fait par hasard. a vite su voir dans mon mode de travail mon grain de folie à moi, et mon désir de supporter ces projets très spécifiques, en leur donnant le maximum de corps musical, au service du théâtre.

RM : Vous êtes aussi en charge de la direction des opéras joués en plein air, en été, en Belgique. Que vous apporte cette collaboration ?

YP : Avant tout, toucher un autre public et travailler avec de jeunes chanteurs. Ils sont d'une certaine manière « neufs », et donc très ouverts. Les contraintes du plein-air obligent également à une grande inventivité. Je suis très créatif dans ce genre de situation. Et, on réalise là tout le confort et le luxe qu'il y a à travailler dans de grandes maisons!

RM : Vous avez dirigé le ballet « Le Loup » de , en présence du compositeur. Pouvez-vous nous relater cette expérience ? Quels souvenirs gardez-vous de cette rencontre ?

YP : Une expérience unique. Une vraie rencontre humaine et professionnelle. même à son âge avancé, travaillait, et retravaillait. Il m'a invité chez lui sur l'Ile Saint-Louis et nous avons travaillé ensemble sa partition (et même retouché à certains endroits l'orchestration!). L'homme était en recherche musicale permanente, et d'une honnêteté artistique complète. Et très curieux des idées des autres. Un régal. Et un honneur.

RM :   Vous êtes né en France, vous avez vécu en Suisse, vous occupez des fonctions en Belgique et en Allemagne. Vous êtes un vrai européen. En ces temps de crise et de remise en cause du projet européen, pensez-vous que la musique (et même les arts par extension) peut (peuvent) jouer un rôle contre les égoïsmes nationaux ?

YP : Oui ! Tous les métiers des arts se nourrissent de rencontres. Comme artiste, nous voyageons et rencontrons beaucoup ;  nous nous enrichissons de cela. Nous voyons d'autres manières de faire, parfois même contradictoires avec celles que nous connaissons. Comme disent de vieux textes, l'inverse est aussi vrai. Aucune certitude ne résisté à cela, et les compréhensions au-delà des différences s'installent en nous. « L'ennemi, c'est l'autre? ». Non, l'intérêt, c'est l'autre.

Crédits photographiques : © DR

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