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La Passion selon Médée de Xu Yi sur la scène de la MPAA

La chose est encore rare mais tend à se répandre progressivement : les conservatoires d'arrondissement de Paris accueillent des compositeurs en résidence pour qu'ils travaillent au sein des classes, théoriques et instrumentales, qu'ils familiarisent les jeunes apprentis musiciens avec la création d'aujourd'hui et qu'ils écrivent pour eux des pièces que les élèves vont pouvoir s'approprier et créer en concert. La scène de la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs qui leur est ouverte conviait durant deux soirées les élèves du CRC du XIVème arrondissement, sous la direction très investie de , pour la création mondiale du ballet solo La Passion de Médée de . Compositrice chinoise qui partage son existence entre la France, où elle a enseigné la composition, et son pays natal, est en résidence depuis deux ans au CRC du XIVème, invitée par Christèle Marchand, directrice zélée et compositrice elle-même, à animer un atelier de création et à faire connaître son propre travail de composition. Cette commande venait consacrer cette collaboration fructueuse qui mobilisait également, pour la chorégraphie, le professeur de danse et magnifique artiste Isabelle Jacquemain ainsi que l'une de ses étudiantes danseuses, Marion Gregri.

Sur le plateau, un superbe déploiement d'instruments à percussion assez rares attire le regard : rutilants tambours chinois, toms, gongs, claviers divers, bol chinois et wood-block géant, somptueusement décorés et rapportés de Chine par qui dit avoir été subjuguée par leur sonorité. « Je dis toujours que j'ai l'âme chinoise et le coeur français » souligne cette artiste exceptionnelle – élève de Gérard Grisey au CNSM de Paris de 1992 à 1994 – qui travaille dans la voie du courant spectral et avec les technologies nouvelles tout en gardant cette imprégnation très forte de la pensée extrême-orientale qui l'habite et l'inspire.

Dans ce décor singulier, mis en valeur par les jeux de lumière, la première partie du spectacle donnait à entendre des pièces solistes de la compositrice, toutes de titre chinois: Wu Wei (Non-agir) pour flûte basse et trompette captive d'emblée notre écoute par les sonorités raréfiées et colorées de souffle de la flûte basse – Patricia Nagel très concentrée – qui créent une aura de mystère; la trompette, lointaine et bouchée, y ajoute très poétiquement son reflet doré. Qing pour alto solo – magistrale – est une pièce toute en contrastes. « Quing désigne un état d'esprit, nous dit Xu Yi, recouvrant le Zhen (sincérité, pureté), le Jing (tranquillité, sérénité), le Hong (générosité, magnanimité) et le Yuan (distance, profondeur) ; la pièce exploite autant de qualités de timbre et d'énergie sur l'instrument; la seconde partie fait jaillir une tension énergétique très impressionnante; le jeu en sourdine de la dernière section modifie d'autant le climat et confère au son une sensualité singulière. Zhiyin pour violoncelle, seul sous l'archet sensible de , évoque le jeu d'un instrument traditionnel à cordes (le Quin, cithare chinoise): sons glissés, jeu sans l'archet, sonorité soyeuse et légèrement bruitée nous font voyager dans un univers aussi poétique que dépaysant.

La percussion est un domaine de prédilection de la compositrice. Gu Yin pour flûte et percussions a été inspirée par une histoire traditionnelle chinoise; la pièce fait interagir le souffle et les sons percussifs de l'instrument à vent (slaps de la flûte basse) et les peaux (tambours) frappées à mains nues par le percussionniste – éblouissant. Xu Yi recherche différentes associations de sonorités – résonance du bol chinois, sons éoliens de la flûte rappelant la flûte chinoise – créant un rapport fusionnel entre les deux instruments. Liao pour percussion solo est un monologue méditatif rythmé par les sonorités irradiantes du bol chinois que déplace au fil d'un parcours sonore poétique autant que minutieusement réglé. Le percussionniste reviendra s'asseoir devant le bloc de bois géant, tirant de cet instrument des sonorités inouïes avant de s'immobiliser, la tête posée sur le bloc géant.

Le plateau était réaménagé en seconde partie pour laisser évoluer la danseuse dans La Passion selon Médée de Xu Yi donnée en création mondiale. Dans « ce voyage à travers une multitude d'émotions » (selon les mots de la chorégraphe Isabelle Pierre-Jacquemin), où Médée est tout à la fois sensuelle, aimante, passionnée et souffrante jusqu'à l'hystérie, la musique de Xu Yi convoque deux solistes – la flûte de Patricia Nagel et la percussion de – ainsi qu'un ensemble instrumental très réactif (musiciens des Conservatoires de la Ville de Paris) dirigé par ; la compositrice tisse une dramaturgie sonore toute en tension et en rebondissement, débouchant sur un spectaculaire solo de peaux percutées qui focalise l'attention sur le geste énergétique du percussionniste virtuose. , très convaincante dans son rôle de Médée, sollicite la participation des deux solistes, entraînant parfois Thierry Miroglio (alias Jason) dans un « pas de deux » très suggestif.

La forme concentrée et l'intensité du propos faisant superbement converger musique et geste tenaient en haleine, une demi-heure durant, un auditoire formé en partie d'un jeune public dont l'écoute très attentive ajoutait à la réussite du projet.

Crédit photographique : Xu Yi © Julie Glanzin

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