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Dimitri Chostakovitch par Frans Lemaire, éclairant

, auteur d'ouvrages de référence sur la musique russe et la musique juive (Fayard), n'avait curieusement jamais publié d'ouvrage monographique sur les compositeurs qui s'inscrivent dans cette mouvance. Le pas est franchi avec brio avec ce , les rébellions d'un compositeur soviétique, qui se place à la confluence de ses thèmes de prédilection.

Dans une forme concise (moins de 150 pages) et d'un abord facile, fait le point d'une manière remarquablement éclairante et équilibrée sur tous les sujets qui agitent les admirateurs et les contempteurs de la musique de Chostakovitch depuis les années 1970. Alors que ses symphonies et ses quatuors comptent incontestablement parmi les œuvres du XXème siècle les plus jouées aujourd'hui, la question lancinante de son rôle en URSS perdure : était-il un fils fidèle de la révolution, comme le régime l'a représenté, ou un artiste rebelle tel que décrit par Témoignage de Solomon Volkov ?

Face aux silences du compositeur et parfois de sa famille elle-même (Maxime Chostakovitch s'est appliqué à acquérir des lettres d'amour de son père mises à vente par les héritiers de celles à qui elles étaient destinées, et ne les a pas publiées), suit le conseil de Chostakovitch qui est de le comprendre en analysant sa musique. Lemaire scrute les partitions elles-mêmes, leurs thèmes, la manière dont elles se succèdent (le cycle Satires  et le Quatuor n°8, œuvres éminemment personnelles sont composées juste avant la Symphonie n°12 « L'année 1917)), celles qui ont été cachées (la cantate Rayok), retirées (la Symphonie n°4), interdites, comme celles remaniées (Lady Macbeth de Mzensk) ou destinées à plaire au régime (les Symphonies n°11 et 12). Il nous guide sur les aspects politiques (l'insertion de thèmes juifs en opposition ouverte avec l'antisémitisme officiel) et les codes amoureux (Galina Oustvolskaïa dans le Quatuor n°5). Et il fait tout cela en retraçant le fil des publications et des études musicologiques qui nous permettent de lever des parts d'ombre ou d'inconnu sur la vie du musicien, et en nous faisant pressentir que d'autres surprises pourraient encore survenir.

Un seul (petit) regret, Frans Lemaire explique bien en quoi l'ironie de la Symphonie n°9 de 1945 était un pied de nez extraordinairement courageux de la part de Chostakovitch face à un Staline qui pensait détenir la réponse soviétique à la 9ème de Beethoven, mais il ne mentionne pas que Chostakovitch avait fait une première tentative de composition d'un mouvement symphonique qui préfigurait ce qu'aurait pu être cette symphonie patriotique, monumentale et pour autant personnelle, et qui a été publié en première mondiale par Mark Fitz-Gerald en 2009 (Naxos). La qualité artistique et l'intérêt historique de ce Mouvement symphonique sont tels qu'il aurait bien mérité d'être cité.

Si l'on s'en tient à la langue française, l'ouvrage de Lemaire devient la nouvelle référence pour une introduction à Chostakovitch comme pour les admirateurs de Chostakovitch qui se délecteront de nombre de découvertes. Plus classique et humaniste, le Dimitri Chostakovitch de Bertrand Dermoncourt (Actes Sud / Classica) reste un bon choix dans un format court, tout comme l'ouvrage plus complet mais déjà ancien de Krzysztof Meyer (Fayard, 1994) qu'il faudrait désormais actualiser. Enfin, il faut relever le prix, imbattable, de seulement 5€ !

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