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Un Pelléas très incarné à Nantes

La production événement du Pelléas et Mélisande de Debussy donnée à Nantes repose sur un pari on ne peut plus risqué. La quasi-totalité des chanteurs y effectue en effet une prise de rôle, notamment Stéphanie d'Oustrac et dans les rôles-titre, quand on sait que la partition repose véritablement sur leurs épaules !

À l'issue du spectacle cependant, le pari est gagné. Stéphanie d'Oustrac, tout d'abord, possède une voix claire, son articulation est nette et précise, et nous procure de rares frissons lorsqu'elle la détimbre dans le grave de sa tessiture, comme un présage de mort. , lui, possède une grande assurance technique, sa voix est puissante et fait pencher le rôle de Pelléas davantage du côté du jeune premier conquérant que du tendre rêveur. Pour le reste de la distribution, notons le Golaud impressionnant de , qui mène la descente aux enfers de son personnage, rongé par le doute et la jalousie, avec maestria, ainsi que le petit Yniold de , qui donne un peu de fraîcheur à cette sombre histoire, mais dont ce sont surtout les qualités de jeu que mettent en avant la mise en scène, puisque ce personnage est omniprésent du début à la fin. livre une Geneviève maternelle, effacée, spectatrice impuissante du drame, ce qu'elle est en vérité.
Quant à l'Arkel de , c'est le seul bémol de cette distribution. Son timbre puissant et chargé de vibrato accentue ses erreurs de prononciation et d'accentuation de la langue (les voyelles muettes ont rarement été aussi présentes), ce qui, quand on songe au soin scrupuleux avec lequel Debussy a composé les parties vocales, dérange. Son interprétation n'est cependant pas dénuée de sensibilité, surtout dans les deux derniers actes.

À le tête de l', dirige de façon très méticuleuse. L'équilibre entre le plateau et la fosse est constant, les plans sonores très détaillés, les surprises harmoniques élégamment soulignées, mais l'orchestre reste cependant confiné dans une demi-teinte constante, même dans la deuxième partie. On aurait souhaité davantage de relief et de contrastes.

Du point de vue de la mise en scène, on est loin de l'esthétisme d'un Robert Wilson, dont le public parisien reverra la mise en scène au cours de la saison prochaine. transporte le drame dans l'univers de la haute bourgeoisie du siècle précédent, et l'inscrit dans un espace unique, une grande pièce, tour à tour salle à manger, salon, chambre ou bureau, dont les murs sont formés de tiroirs, qui s'ouvre vers l'extérieur par une verrière et munie d'un escalier et d'une balustrade. Dans la lutte entre onirisme et réalisme, présente dans la pièce de Maeterlinck, la metteuse en scène a très clairement tranché pour le second. Exit donc les fontaines, les clairs de lune, les bosquets, les lisières de forêt, les symboles ; on assiste à un drame de mœurs à huis clos. S'ensuit un inévitable hiatus à certains moments entre ce qui est dit et ce qui est représenté ; la scène d'Yniold au quatrième acte notamment, paraît presque incongrue. Le choix de cet espace confiné permet néanmoins des trouvailles de mise en scène, dont le grand livre avec les images en relief, qui figure la fontaine des Aveugles au deuxième acte, ou la trappe menant dans les souterrains, dans laquelle s'engouffrent Golaud et Pelléas avant d'en resurgir à la scène suivante. L'action elle-même est on ne peut plus incarnée, palpable, et tranche rapidement le dilemme de Golaud : Pelléas et Mélisande ne sont décidément pas des enfants qui s'éveillent à la sexualité, ce sont ici des êtres charnels qui jouent aux enfants. Les postures lascives de Mélisande dans la scène de la tour lèvent toute ambiguïté.

Crédits photographiques : (Golaud) et Stéphanie d'Oustrac (Mélisande) ; Stéphanie d'Oustrac (Mélisande) et (Pelléas) © Jef Rabillon

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