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Le Mécano de la General de François Narboni

L'actualité musicale et cinématographique du moment semble renouer avec la tradition du film muet autrefois accompagné en direct par un piano ou un petit ensemble instrumental. De Metz à Besançon, en passant par d'autres villes françaises, le territoire national se prête ainsi actuellement à diverses expériences dans le genre redécouvert du ciné-concert, forme artistique susceptible de ravir autant les cinéphiles avertis que les mélomanes les plus chevronnés.

Commandée à la fois par l'Arsenal – Metz en Scènes et par l'ECO – , la partition du compositeur lorrain rentre ainsi dans cette catégorie musicale atypique, qui ne cesse de s'enrichir avec les années au gré des relectures des grands classiques du cinéma qui ont fait autrefois le bonheur des petits et des grands.

D'emblée, le choix du film de Buster Keaton Le Mécano de la « General » s'impose comme une évidence. Avec ses rythmes effrénés, marqués par la présence écrasante du personnage central du film – la locomotive bien-nommée la « General », le deuxième amour du protagoniste Johnnie Gray… – le film de 1926 se présente lui-même comme une véritable partition visuelle, gestuelle et physique. Du Sud vers le Nord, du Nord vers le Sud, les mouvements de la locomotive, ses divers retours en arrière, ses arrêts, accélérations et autres ralentissements imposent à la narrativité du film une cadence qu'une musique originale ne peut que souligner et mettre en lumière. Les progrès technologiques et informatiques permettent d'ailleurs un millimétrage chronologique en tout point infaillible.

Si la musique regarde l'image et vit au rythme de l'action et des gags de ce petit chef d'œuvre du cinéma burlesque, elle en souligne également les multiples décalages et grincements inhérents à ce genre clownesque fondé sur la dérision et sur l'autodérision. Cependant, si la musique de sait parfaitement suivre et accompagner les images, dont elle propose un commentaire pertinent et raffiné, elle n'en possède pas moins sa propre autonomie et l'on souhaiterait presque pouvoir l'entendre séparément de l'image, la double lecture visuelle et auditive créant par moments un phénomène de redondance et de saturation pour le spectateur et pour l'auditeur.

Écrite pour l'ECO– , un ensemble composé des instruments traditionnels de l'orchestre « classique » (bois, cuivres, cordes, percussions) auxquels se rajoutent un piano, un accordéon, une guitare électrique mais aussi un disc-jockey et un ingénieur du son, la partition fait fi des sectarismes habituels, combinant allégrement musique symphonique, musique de chambre, jazz et rock. De cette hybridation générique, censée illustrer un scénario farcesque se déroulant sur fond de bluette amoureuse mais aussi de tragédie historique, résulte une épopée musicale intime et véhémente à la fois, fidèle à l'image qu'elle commente mais également dotée de son autonomie propre. Preuve de la réussite d'une telle entreprise, on n'est gêné à un aucun moment par le décalage inévitable entre une musique contemporaine, écrite pour un orchestre contemporain, et l'esthétique cinématographique d'un film datant de 1926, et donc vieux de 88 ans… Musique pour le film de Buster Keaton, musique avec le film, la partition de ne répond en rien à l'appellation quelque peu dévalorisante de musique de film. Souhaitons belle et longue vie à cette musique riche, intense et originale, pour laquelle on souhaiterait dans les années à venir de multiples retombées.

Crédit photographique : François Narboni © DR ; Le Mécano de la « General », Buster Keaton © DR

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