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Hans Werner Henze (1926-2012) : intégrale des enregistrements Deutsche Grammophon. 6 symphonies; Sonate pour cordes; Double concerto pour hautbois, harpe et cordes; Fantaisie pour cordes; Concerto pour violon n°1; Ode au vent d’ouest; Concerto pour contrebasse et orchestre; Concerto pour piano n°2; Tristan;Variations pour un ballet; 3 tientos pour guitare; 5 chants napolitains; Whispers from Heavenly Death; Being Beauteous; Essai sur les cochons ;Cantate de la fable ultime; Les Muses de Sicile; Moralités; Le Radeau de la Méduse; El Cimarron; Le chemin fastidieux menant à l’appartement de Natascha Ungeheuer; Elégie pour de jeunes amants (scènes); Der Junge Lord; Undine; Symphonische Zwischenspiele; Danse des ménades; Caprice pour violoncelle; Sonata per otto ottoni. Interprètes divers. 16 CD. Référence : 0 28947 91522 5. Enregistrements effectués entre 1949 et 1997. Notice de 70 pages avec synopsis. Durée totale:17H49.

 
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: un compositeur Deutsche Grammophon ?

henze complete dggAh ! Comme l'on aurait aimé que l'aventure continue ! Pourquoi la Deutsche Grammophon a-t-elle peu ou prou lâché le compositeur allemand, qu'elle a tant choyé dans les années 60/70 ? Le magnifique coffret de 16 CD avec ses élégants digipacks reproduisant les pochettes d'origine, qu'elle vient de publier (pour se faire pardonner ?) vient raviver les regrets. Il permet une salutaire mise au point de l'art d'un compositeur, il est vrai protéiforme, mais dont il convient de rappeler l'importance.

« Une vie à chercher la beauté » : c'est fort justement dit en préambule du texte subtil mais bien trop concis qui figure dans un livret lui aussi bien mince en regard de l'importance de l'événement ! Si, à l'instar de tous ses confrères de l'après-guerre, dut partir à la recherche d'un langage musical, il fut toujours animé, au sortir de l'horreur fasciste (son propre père, nazi convaincu, mort pour Hitler et persuadé que la place de son fils, homosexuel, était dans un camp de concentration !), par le désir, de créer un monde de résistance où la Beauté vaincrait. La Grande Bellezza.

Commencée en 1946, sa carrière de compositeur oscillera, après Darmstadt où il suivra l'Académie d'été de musique contemporaine, après l'initiation au dodécaphonisme avec René Leibowitz, entre plusieurs langages. Sa vingtaine d'opéras, ses 10 symphonies, ses ballets, ses cantates, ses concertos, témoignent tous d'une écoute hors-pair de son temps. Ce coffret nous fait vivre 30 années de musique contemporaine, tâtonnements expérimentaux compris, en même temps que l'on ne cesse de se poser la question d'un style.

Rien de commun par exemple entre le corpus magnifique des 6 premières symphonies dirigées de main de maître bien sûr par le compositeur lui-même, et quelques œuvres qui fâchent vraiment malgré le projet empathique d'un  très engagé de quitter sa bulle et d'utiliser ses compétences pour faire entendre les messages du monde extérieur: Der Floss der Medusa où l'incroyable souplesse de Dietrich Fischer Dieskau et les aigus stratosphériques d' sont impuissants à maintenir à flot un discours musical des plus disparates où l'on entend vraiment de tout …El Cimarron et son langage virtuose, même dans la déconstruction, mais erratique (il faut dire que liberté créatrice était laissée aux exécutants) : ne reste que la louable réflexion humaniste et sincère sur l'esclavage…ou le hélas bien nommé Der langwierige Weg in dire Wohnung der Natascha Ungeheuer (Le chemin fastidieux menant à l'appartement de Natascha Ungeheuer !), difficilement audible avec des hurlements à vriller les oreilles: dans sa description documentaire du sinistre Berlin-Ouest de l'époque, c'est le pire de l'art du collage où l'on n'a plus qu'à se raccrocher comme on peut à une citation de la 5ème de Mahler ! Sans parler du plus qu'étrange Essai sur les cochons (sic) avec les éructations expérimentales de Roy Hart et une guitare électrique! HWH s'est tout permis, appliquant à la lettre la célèbre théorie de 68: « Interdit d'interdire ! ».
Rattachées au radicalisme du Théâtre musical très tendance de cette époque, mais si datées aujourd'hui, bien que parcourues ça et là de fugaces bouffées musicales qui rappellent la grande maîtrise du compositeur, ce sont trois œuvres qui n'ont que le mérite d'avoir existé un jour (quoi que l'enregistrement du bien nommé lui aussi Der Floss der Medusa est la seule partie immergée d'un spectacle englouti annulé au dernier moment pour cause de manifestation conter la guerre du Vietnam), difficilement écoutables , privées qu'elles sont de la scène et surtout des livrets !! On ne peut s'empêcher de noter qu'à partir de là, Deutsche Grammophon a espacé les enregistrements. Hans Werner Henze aurait-il poussé trop loin, pour la respectable firme à l'étiquette jaune, le bouchon de l'empathie musicale ?

A l'écoute de ce coffret qui couvre donc l'intégralité des enregistrements Deutsche Grammophon, on est impressionné de constater à quel point a vraiment été déroulé pour Henze le tapis rouge du velours des prises de son fastueuses de l'âge d'or. Le résultat obtenu se caractérise par une ivresse sonore généralisée. DG a offert aussi les plus beaux sons d'orchestre du moment : Les Berliner Philharmoniker, arrachés un instant à Karajan, font chanter cette musique comme ils font chanter celle de Beethoven. L'on croise aussi le , le , l', l', ….Ajoutons à cela les incontournables gosiers de l'écurie de la firme: l'immense , ! On découvre vraiment les aigus alla Lulu d'une sidérante , que l'on croyait abonnée aux Suzanne et autres Marcelline ! Dans Elegy for young lovers, où il est beaucoup demandé beaucoup aux chanteurs, on déniche même !
C'est l'hédonisme sonore qui prévaut, chaque musicien étant totalement dévoué à l'idée originelle du compositeur d'œuvrer pour ce qu'il convient d'appeler un véritable militantisme de la Beauté.

D'ailleurs, soupçonné de dissidence par ses collègues de Darmstadt, attachés bec et ongles au dogme du sérialisme, et toujours mal à l'aise avec l'Allemagne de l'après-guerre, Hans Werner Henze ira trouver cette Grande Bellezza en Italie, précisément, où il vivra dès 1953. Néanmoins, ironie du sort, il mourra en 2012 à Dresde, dans cette Allemagne qui l'avait fait fuir… « Un cœur allemand bat dans sa musique, mais tout ce qui l'entoure est méditerranéen. » Cette remarque de Simon Rattle résume bien l'art de Henze, véritable creuset d'influences : Stravinsky, bien sûr que la période néo-classique de ce dernier passionnait (il ne tarissait pas d'éloges sur Orpheus !), mais aussi Chostakovitch ( la Fantaisie pour cordes de 66 n'ayant rien à envier au Quatuor n°8 de ce dernier), Bartok,Varèse et Penderecki…En fin de compte, on pourrait dire que Hans Werner Henze a écouté tous les compositeurs du XXème siècle et qu'ils se sont tous donné rendez-vous dans sa musique ! Au cinéma, outre ses collaborations avec Volker Schlöndorf, il a même fait du Resnais en composant pour le regretté metteur en scène l'énigmatique partition de son film L'Amour à mort.

Musique toujours exigeante, toujours très brillante, avec un vrai génie de l'orchestration, de la fabrication des sons, ainsi qu'un vrai désir de mettre en valeur tous les pupitres, voire chaque instrumentiste. Parfois cérébrale, mais jamais austère. Parfois disparate, elle offre toujours la garantie d'une expérience sensorielle.

De la vingtaine d'opéras composés par le compositeur palindrome subsiste ici un de ses meilleurs : Der Junge Lord, grand écart stylistique, pastiche XVIIIème à l'intelligence souveraine, entre Strauss et Stravinsky, aussi brillamment écrit que The Rake's Progress et qui donne l'impression d'avoir écouté toute l'Histoire de la Musique ! D'Elegy for young lovers, en revanche, nous n'aurons droit qu'à des fragments qui donnent envie d'en savoir plus.

Les sommets de ce coffret, outre les Symphonies, sont la Sonate pour cordes de 57, puissante et passionnée… La Fantaisie pour cordes de 66, concise mais dense…le Double Concerto pour hautbois et harpe, également de 66, où le compositeur fascine en tirant de la harpe des sonorités inconnues… le très classieux Premier Concerto pour violon… le Concerto pour piano n°2 de 67, alternance fascinante d'éclats et d'intimisme, où il paie son tribut au dodécaphonisme en le noyant dans un romantisme sans complexe (impressionnants empilements de sons façon Lulu ou 10ème de Mahler et tétanisant fabuleux crescendo final !)…le brillant Tristan, pour piano, bande et orchestre lesté de clins d'œil à Wagner et Brahms… la magique Cantate de la fable ultime de 63 avec sa somptueuse écriture chorale, son utilisation quasi immatérielle de la voix humaine aux confins du silence, et surtout le long ballet Undine dont la splendeur orchestrale est magnifiée par la direction du grand admirateur de Henze qu'est . Ajoutons un petit clin d'œil à l'œuvre charmante qu'est Moralités, conçue avec l'exigence jamais prise en défaut de Hans Werner Henze, pour chœurs et orchestre scolaires.
Quelques trop courts fragments comme le Symphonische Zwischenspiele, ou Mänadentanz extraits respectivement des opéras Boulevard Solitude et Die Bassariden, nous conduisent aux regrets face à l'absence d'intégrales des opéras: ces dernières existent avec une visibilité hélas plus réduite, chez d'autres éditeurs moins prestigieux : Wergo, Cascavelle,, Schwann… Henze fut toujours fêté par l'industrie discographique.

Dans le livret qui propose un entretien enrichissant, daté de1996, entre et le compositeur, ce dernier avoue lui-même, concernant sa propre musique, ne pas être à la recherche du développement d'un style mais plutôt d'un parcours qui le fait aller « d'une pierre à l'autre… en trébuchant parfois », plutôt soucieux de découvrir de nouvelles possibilités. Le grand humaniste à l'écoute du monde qu'il est, conclut même : « La première moitié du siècle prochain jouira de belle musique nouvelle de toute sorte. »

Saisissons, en conclusion, l'opportunité de ce passionnant coffret pour y dénoncer la détestable habitude, devenue monnaie courante aujourd'hui, de faire l'économie des textes et livrets. Deutsche Grammophon ne propose même ici aucun lien pour accéder à ces derniers en ligne. Dans le cas de Henze, (compositeur d'opéra tout de même fêté jusqu'à son dernier opus lyrique l'Upupa, créé à Salzbourg en 2003), au lieu de la visibilité envisagée, ça peut s'apparenter à une semi-mise au tombeau.

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