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Balanchine Millepied à l’Opéra Bastille : un festival de couleurs

Festival de couleurs et musiques éblouissantes pour le double programme Balanchine – Millepied du Ballet de l'Opéra à l'Opéra Bastille.

De nouveaux costumes étincelants signés pour la reprise du Palais de Cristal, créé par en 1947 pour la compagnie. Une création lumineuse et colorée sur la symphonie chorégraphie de Ravel, Daphnis et Chloé, par avec des décors de . Entre jeunes pousses et étoiles confirmées, le Ballet de l'Opéra de Paris y déploie tout son savoir-faire. Le tout, sous la baguette nuancée et puissante de , qui dirige pour la première fois l'Orchestre de l'Opéra dans un spectacle de danse.

Quatre mouvements et un Finale rythment la Symphonie en ut majeur de , choisie par Balanchine pour sa première création pour le Ballet de l'Opéra en 1947. Hommage à la compagnie et à la tradition française, le ballet exige virtuosité technique et justesse d'interprétation. Dans le 1er mouvement, allegro vivo, , en tutu couleur rubis, est très à l'aise dans ce style balanchinien. Epaules et port de tête fluides, elle est grâce et facilité, aux côtés d'un Mathieu Ganio ultra léger au sourire « ultra bright ». Un joli couple !

Le deuxième mouvement, adagio, est plus difficile à aborder par la grande Marie-Agnès Gillot, qui le danse comme un drame romantique, en exagérant les ports de bras et en faisant des mines. Tremblante dans les équilibres, elle est rattrapée par un Karl Paquette imperturbable, soutien sans faille dans l'adage. Dans ces tempi très lents, le couple est mal assorti. Les costumes de diamants noirs aux tutus scintillants, sont en revanche sublimes.
Ludmila Pagliero et , ressorti des oubliettes, forment un couple brillant et pétillant dans le troisième mouvement, allegro vivace, dans des costumes émeraude très aristocratiques. Même tempo pour le quatrième mouvement, où l'étincelante Nolwenn Daniel et l'élégant relèvent le gant en costumes perle (photo).

Le talent de coloriste de éclate dans le Finale où s'associent les harmonies de couleurs sur lesquelles il a travaillé, en écho au ballet Joyaux, du même Balanchine, dont il avait signé les costumes pour son entrée au répertoire du Ballet en 2000. Une volonté d'harmonie qui permet d'assortir un peu mieux cette étrange distribution, composée de jeunes pousses et d'étoiles confirmées de la compagnie.

C'est un rideau de scène hypnotique signée qui donne le La de la recréation de Daphnis et Chloé par Benjamin Millepied. Avec ses panneaux géométriques aux couleurs translucides, dans l'esprit de son installation pour Monumenta 2012, a parfaitement su se couler dans le rythme de la partition de et ses nuances infinies. Cette extraordinaire symphonie chorégraphique a été composée en 1912 suite à une commande de Serge de Diaghilev pour les Ballets Russes. « Mon intention, en l'écrivant, était de composer une vaste fresque musicale, moins soucieuse d'archaïsme que de fidélité à la Grèce de mes rêves, qui s'apparente assez volontiers à celle qu'ont imaginée et dépeinte les artistes français de la fin du XVIIIème siècle » écrivait le compositeur en 1928.

Ecrire sur une partition aussi lyrique, même si elle est limpide et lumineuse, n'est pas simple pour un chorégraphe. Depuis sa création par Michel Fokine, en 1912, sur des décors et des costumes de Léon Bakst, beaucoup de chorégraphes s'y sont cassé les dents : Serge Lifar en 1958, Georges Skibine en 1959 ou un peu plus tard. Benjamin Millepied est assisté dans sa tâche par un  très volontaire, et surtout par un Orchestre de l'Opéra national de Paris divinement dirigé par . Tout au long de l'exécution, il tire de la fosse des timbres, des nuances et des sonorités miroitantes, grâce à sa direction subtile et infiniment délicate.

En optant pour la simplicité, costumes monochromes, robes longues et cheveux lâchés pour les filles, Benjamin Millepied reste dans l'esprit pastoral du roman attribué au poète grec Longus pour en faire un ballet néoclassique et intemporel, notamment dans les ensembles. Seuls les parties solistes et le travail réalisé sur les personnages reposent sur une interprétation vraiment personnalisée. Le quintet réuni le soir de la Première par le chorégraphe prouve qu'il aime les danseurs de la compagnie et a su les choisir. Hervé Moreau en Daphnis est l'amoureux intranquille et sensible. en Chloé est une belle sereine, qui franchit les épreuves avec dignité. La tentatrice Lycénion, alias Eleonora Abbagnato s'accorde à merveille avec le traitre et jaloux Dorcon, l'ombrageux . L'exceptionnel rebond de François Alu, en Bryaxis le chef des pirates (photo), intègre à la perfection la présence et le zeste de décontraction des épaules et du buste, très américains, que Benjamin Millepied insuffle à la chorégraphie. Par moment, et jusqu'au final en technicolor déclinant les couleurs des décors de Daniel Buren, on retrouve l'esprit des grands couples de comédie musicale formés par Hollywood !
Par son parcours de Français ayant fait toute sa carrière de danseur, puis de chorégraphe, au New York City Ballet, Benjamin Millepied se positionne dans la lignée d'un passé de la Russie, puis de la France aux Etats-Unis. Si le travail chorégraphique plutôt sage de Millepied ne brille pas par son originalité, il frappe par son habileté à digérer l'histoire de la danse.

Ce ballet lumineux et résolument optimiste qui affiche un certain goût pour le bonheur clôt un beau programme à la fois patrimonial et de création tel que l'Opéra de Paris sait les offrir. Il témoigne à la fois du talent de programmatrice et de la confiance dans les artistes de son temps de , sa directrice de la danse.

Crédit photographique : © Agathe Poupeney – Opéra national de Paris

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