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14+18 Dix mois d’Ecole et d’Opéra

Cette année encore, le projet Dix Mois d'Ecole et d'Opéra surprend par les ambitions affichées et l'enthousiasme des équipes pédagogiques et artistiques.

Pour la première fois depuis 1991, ce partenariat entre l'Opéra National de Paris et l'Education Nationale se déplace hors de l'Île-de-France pour aller combattre idées reçues et préjugés autour de l'utilisation de l'art lyrique utilisé dans des milieux scolaires dits « difficiles ».

L'an dernier, ce programme célébrait son dixième anniversaire en mettant les petits plats dans les grands ; l'équivalent de 14 classes (280 élèves au total) avaient pu y participer. Cette année, parmi les nombreux établissements scolaires ayant présenté un dossier de candidature, quatre classes ont été retenues – originaires d'Aubervilliers, Argenteuil, Laxou (en banlieue de Nancy) et Reims. Cette année, c'est un total de 102 enfants et adolescents qui auront participé aux représentations à l'Amphithéâtre Bastille ainsi que sur la scène de l'Opéra de Reims et de l'Opéra national de Lorraine. Le centenaire de la Grande Guerre fournit à cette édition 2014 son arrière-plan dramatique et narratif.

Responsables respectivement de la mise en scène et de la dramaturgie, Marie-Eve Signeyrole et ont co-écrit un livret retraçant les temps emblématiques de la Grande Guerre, de l'enthousiasme de la conscription au désespoir des orphelins pupilles de la nation. Sur le fil du « pour de vrai » et « pour de faux », les élèves jouent au jeu sinistre de la guerre.

La structure narrative s'organise astucieusement autour d'une alternance de scènes au présent et au passé, ce qui permet aux protagonistes de dialoguer à un siècle d'intervalle. Les anonymes côtoient les figures célèbres, tous transfigurés par l'illusion d'un combat patriotique. On croise au détour d'une scène le fantôme d'Apollinaire, et avec lui la longue cohorte des Céline, Cendrars, Giono, Barbusse. Interprétées par les élèves et l', les références musicales puisent dans le répertoire populaire (Berthe Silva, Jean Ferrat) et le répertoire (Debussy, Fauré, Poulenc, Ravel, Stravinsky). Pour contourner l'écueil que constitue la question de la mémoire pour de jeunes générations, le choix s'est porté sur une référence indirecte au conflit armé à travers l'imaginaire et l'allégorie. Les scènes de combats, par exemple, empruntent à la valse des thèmes inattendus, comme s'il s'agissait de traduire l'horreur vue à travers des yeux d'enfants et nous faire réfléchir malgré la distance mémorielle et l'incompréhension face à l'absurdité de ce grand massacre… La dimension mondiale de la guerre de 1914-1918 est rappelée par la présence sur scène d'enfants d'origine étrangère et dont la famille n'a pas forcément transmis les mêmes souvenirs de ce conflit, soit que leurs ancêtres aient combattu sur un autre continent, soit qu'ils aient participé aux forces coloniales.

A la fois touchant et réaliste, l'univers narratif de 14+18 fourmille de références historiques et culturelles, sans jamais jouer la carte sentimentale ou de l'illustration au rabais sous le faux prétexte de s'adresser à des générations que l'Histoire a du mal à sensibiliser. Ainsi, cette scène des « petits facteurs » au cours de laquelle la simple lecture des correspondances privées permet de recréer le contexte social de l'époque et éclairer cette période d'un jour neuf. La réalité des tranchées transparaît à travers les dialogues laconiques des « anges blancs » et autres « petites curies ». La superposition des situations crée un enchaînement narratif littéralement surréaliste, faisant dialoguer la réalité d'une classe de 1914 avec celle d'aujourd'hui.

L'élaboration d'un tel projet a nécessité la mise en place d'une logistique très élaborée pour permettre aux quatre classes de pouvoir travailler au même rythme. Au début de l'année scolaire, les équipes artistiques se sont déplacées dans les établissements pour rencontrer les élèves et attribuer les rôles. Le livret avait été rédigé dans l'été 2013 mais il connaîtra plus d'une dizaine de versions avant les représentations parisiennes !

La distribution des rôles a été décidée lors des séances de travail avec les différentes classes, ce qui a conduit à construire la mise en scène comme on assemblerait un immense puzzle, les premiers « regroupements » des quatre classes intervenant en février 2014, soit six mois après le début du travail. Le travail collaboratif a occupé les classes de CM2 à la 5e afin que tout le monde puisse remonter le temps et trouver ses marques dans une mémoire historique, à la recherche d'ancêtres fictifs dont ils se sont approprié le destin.

L'équipe enseignante a participé activement à ce travail de prise de conscience de ce à quoi pouvait ressembler le quotidien d'une société à la veille du conflit mondial. Les témoignages épistolaires et les récits d'anecdotes ont trouvé leur place dans la grande Histoire, grâce au travail des intervenants extérieurs (comédiens, chefs de chant et chorégraphes) qui ont assuré le suivi des répétitions sur le terrain.

Non sans humour, Pascaline Richard, directrice de l'école élémentaire Emile Zola de Laxou, évoque la réaction de certains parents déçus de découvrir que la classe de neige était remplacée cette année par le projet opéra… Fort heureusement, aucun d'entre eux n'a montré de réelle réticence, même lorsqu'il fallait que les enfants partent de Nancy et Reims à 6h30 du matin pour participer aux répétitions à l'opéra Bastille…

L'implication et l'investissement personnel des enfants a eu pour la plupart des effets notables sur leurs résultats scolaires et leur comportement. Pour les enseignants, l'intérêt de « Dix mois d'école et d'opéra » c'est également la possibilité de voir les élèves évoluer dans un contexte atypique. En les éloignant de certains aspects de leur quotidien, l'opération a réussi à créer une dynamique de groupe. Pour le metteur en scène et , danseuse et chorégraphe – tous deux en charge des répétitions sur le pôle de Reims – les premières étapes du travail ont consisté à faire prendre conscience de l'image que l'on renvoie sur scène ainsi que de la manière dont on fait bouger son corps. Loin des schémas traditionnels et des craintes adolescentes, ces « grands enfants » ont très vite montré des qualités impressionnantes, prouvant à ceux qui pouvaient encore en douter qu'ils n'avaient aucun a priori à l'encontre du monde de l'opéra (l'inverse étant plus… problématique). Habitué de la lutte contre les discriminations et de l'ouverture des publics à l'art lyrique, – directeur de l'opéra de Reims – n'hésite pas à comparer ‘Dix mois d'école et d'opéra » avec « El Sistema » mis au point par José Antonio Abreu au Venezuela. A une échelle différente, il s'agit également de faire en sorte que les adolescents respectent le travail en équipe et comprennent ce que représente la valeur sociale de ce travail. Le chœur et l'orchestre peuvent être perçus comme une société miniature dans laquelle la discrimination n'a pas sa place.

Finalement, la seule déception de « Dix mois d'école et d'opéra » vient du fait que l'opération ne se prolonge pas au-delà de la période fixée. L'ouverture du projet à des centres de province s'est accompagné d'une diminution de la durée de travail (une année contre deux jusqu'à présent). Les équipes ont dû densifier le planning des séances, mais comme le précise la directrice musicale Lucie Larnicol, on est interpellé par l'enthousiasme des enfants et la joie communicative qu'ils expriment à travers une interprétation de haut niveau. Leurs sourires à l'issue des premières représentations est la plus belle marque de réussite et la garantie que ces dix mois au pays de l'opéra auront marqué durablement leur vie.

 Crédits photographiques : Opéra national de Paris

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