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Légendes et autres récits de Laurent Martin

Si l'on se réfère à l'étymologie latine, le mot légendes vient de legenda, « choses qui doivent être lues », rappelle dans la notice de Légendes (2006), oeuvre nouvellement gravée sous le label de l'; et c'est au violon solo – celui, généreux et chaleureux, d' – que le compositeur confie le rôle du « lecteur ». Les fonctions des différents protagonistes  – soliste, petit choeur et instruments – sont d'ailleurs clairement réparties dans le déroulement de ce cérémonial étrange autant qu'envoûtant, où l'harmonie microtonale de la ligne de violon, énergétique et fluide, vient très curieusement iriser celle, purement consonante, des huit voix toujours hiératiques; les quatre vents, le plus souvent solidaires du choeur, confèrent couleurs et profondeur à ce vaste poème litanique articulé en onze numéros. Evoquant à plusieurs reprises l'austérité altière des Symphonies d'instruments à vent de Stravinsky, l'écriture relève d'une sorte d' « Ars subtilior » éminemment personnel, comme dans le sixième mouvement très impressionnant où les voix d'hommes, lentes et confrontées au timbre fusionnel des cor et trompette bouchée, sont soudainement dominées par les vocalises jubilatoires du hautbois. Les textes, excepté le dernier, en latin, de Saint Augustin, sont de la plume du compositeur; parfois simples phonèmes (l'Ouïe), ils ont été écrits en même temps que la musique et se rapportent aux cinq sens, générateurs d'images et de perceptions où semblent se rejoindre le corps et l'esprit: « Ils ne désignent rien, prévient le compositeur […] ils invoquent ». La percussion, délicatement choisie et toujours « en dehors », est ici l'instrument du rituel, signalant et articulant les différents moments du cérémonial… excepté dans la Danse1, où glockenspiel en quarts de ton et violon solistes exécutent une ronde subitement lumineuse et presque mécanique, cernée à distance par les cuivres graves. Sous la conduite de , l', voix et instruments confondus, donne à cette « lecture » toute sa cohérence et la richesse de ses intonations.

Les Poèmes japonais (2002) qui complètent cet album, écrits sur des textes de Junzaburo Nishiwaki et Miyazawa Kenji, ont été conçus pour la chanteuse traditionnelle Junko Tahara et son art du récit, sollicitant tout à la fois sa voix parlée et chantée. modèle la ligne vocale sur les intonations de la langue japonaise qui semblent parfois gouverner l'écriture instrumentale. Frettées en quart de ton, les deux guitares – Caroline Delume et Wim Hoogewerf, réactifs et très impliqués – donnent du relief au récit et font valoir leurs harmonies savoureuses et dépaysantes dans les Prélude, Interlude et Nocturne reliant les différentes histoires. Sans référence directe à l'univers extrême oriental, conjugue ici avec un rare bonheur la langue japonaise magnifiquement incarnée par Junko Tahara et sa propre sensibilité microtonale.

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