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Formidables machines au Festival Berlioz

Le Festival Berlioz fut implanté par Serge Baudo à Lyon de 1979 à 1989. Les plus beaux Troyens (confiés à l'imagination passionnée du tout jeune tandem Leiser-Caurier) y furent présentés à l'Auditorium en 1987. Bien qu'archi-intégraux, (on y réhabilita même la très belle scène, dite de Sinon, coupée par le compositeur lui-même), il se firent très injustement voler la vedette par la version présentée par Chung et Pizzi pour l'inauguration ultra-médiatisée de l'Opéra Bastille en 1989, version pourtant sans génie scénique et surtout charcutée, délestée des ballets essentiels : Leiser et Caurier se les étaient au contraire appropriés avec gourmandise pour une géniale mise en abyme où l'on pouvait voir le grand Hector rêver sa partition avant que cette dernière ne brûlât dans les sables africains : mémorable !

En 1994, l'aventure festivalière reprit quelques kilomètres plus loin faisant de la ville natale de Berlioz, La Côte-Saint-André, le Bayreuth français (de même que l'on peut très bien concevoir ainsi que le déclarait la veille François-Frédéric Guy, que « Berlioz est le Beethoven français », dans ses opéras, il en est peut-être aussi le Wagner.)
Conscient de la moindre production lyrique du Français, , directeur artistique de la manifestation depuis 2009, bien que non berliozien au départ, mais fervent adepte de la bimusicalité, passionné par l'ethnomusicologie, et même passé par la variété, est aujourd'hui en train de transformer la « petite ville-au-bois-dormant » en une manifestation détonante qui n'aurait pas déplu à l'Hector d'Euphonia.
Cela ne va bien sûr pas sans grincements de dents. Intituler l'Edition 2014 « Berlioz en Amérique » et la sous-titrer « Au temps des révolutions industrielles » ouvre beaucoup de portes à un public nouveau mais est pour certains un appel au blasphème. Ce Festival «conçu comme un clin d'œil à Berlioz et aux voyages qu'il aurait pu faire s'il avait répondu aux diverses invitations reçues d'Amérique » fait effectivement hurler quelques gardiens du Temple : « Et pourquoi pas l'an prochain Berlioz sur la Lune? Berlioz au Tibet ? » Etonnant de constater qu'à la Côte comme à Bayreuth on s'enflamme vite! C'est finalement bon signe. Hector était clivant. Messina est dans le droit fil. En tous cas, le succès est au rendez-vous. On croit arriver dans une ville paisible où quelques transis vont échanger des propos d'initiés. C'est cela, mais aussi bien davantage.

Du 26 au 31, sous le balcon d'Hector, l'argentin Alejandro Iglesias Rossi à la tête de son ensemble Fronteras Del Silencio récolte un triomphe musical et humain mérité en faisant voyager une assistance médusée une bonne heure durant jusqu'au confins du passage dans l'au-delà au moyen d'instruments inconnus. « C'est beau la musique de Berlioz », s'amuse-t'on après le concert où pas une note du cher Hector n'a été jouée, mais la curiosité de ce dernier pour les sonorités extra-classiques (la cymbale antique que l'on entendra le 30 dans son Roméo n'ayant rien à envier à l'étonnant « toucan » de l'ensemble argentin).
Ou bien encore le matin du 31, le grand concert gratuit de 3 heures en plein air sous la Halle ! Trois orchestres d'instrumentistes débutants du projet Demos Isère suivis de L'Orchestra Jovem do Estado de Sao Paolo, ce dernier sous le direction de Claudio Cruz, jouent tubes sur tubes. Aurait pu se glisser là certaine Marche hongroise : même pas ! Et pourtant les gardiens du temple ne peuvent que rendre les armes devant cette initiative qui fait de La Côte une ville noyée de musique. Euphonia ! La Côte est Euphonia, la ville-musique imaginée par Berlioz, cité idéale où tous les euphoniens seraient mélodie et rythme. « Sous l'influence de la Musique, l'âme s'élève et les idées grandissent, la civilisation progresse, les haines nationales s'effacent. » Quel beau projet  que celui d'Hector! On le croit atteint à La Côte, qui entre le Concert monstre d'ouverture et sa clôture sera même parvenu à rassembler des gens qui avouent ne toujours pas aimer Berlioz !

Le vendredi 29 août, un programme intitulé East and …West side story célèbre la révolution industrielle qui passionna tant le compositeur dont on nous apprend qu'il naquit la même année où fut construit le premier train et dont on devine qu'il aurait été à coup sûr ravi de pousser jusqu'à l'invention du phonographe. Train, avion bateaux enchantèrent Hector Berlioz : « A bas les douanes et les douaniers…il n'y aura plus qu'un seul empire : la Terre. »
Deux parties dans le concert dirigé par , directeur musical de l'. Pacific 231, la géniale partition d'Honegger (au fait à quand un Festival Honegger?) est dirigée on ne peut plus spectaculairement et permet de se réjouir d'emblée de la superbe acoustique du dôme installé depuis 2003 le temps du Festival dans la cour du Château Louis XI. Aussi décoiffante, la méconnue Iron Foundry composée par le russe  pour le 10ème anniversaire de la révolution russe. Dans son arbre généalogique, le chef américain projette idéalement la jubilation de Short Ride in a Fast Machine de avant de donner libre cours à son humour en invitant l'orchestre à jouer de courtes pièces plus connues que leur auteurs telle The Typewriter où il interprète lui-même la partie de soliste sur…une machine à écrire ! Il va même jusqu'à faire miauler le public : gros succès bien sûr. La seconde partie est consacré au mythe Roméo et Juliette des 2 côtés de l'Atlantique. Bernstein, Rota, Prokofiev, et Tchaikovsky (cherchez l'absent!). La geste de Slatkin est tout aussi impressionnante à la tête d'un orchestre devenu au fil des ans une magnifique machine lui aussi.
Signalons l'audace d'enchaîner en un même souffle qui éteint dans l'œuf toute velléité d'applaudir, Bernstein, Rota et Tchaikovsy. Belle idée ou vengeance malicieuse d'un chef agacé d'avoir entendu les applaudissements entre les trois pièces du Prokofiev juste avant ? Penchons pour l' idée novatrice de la première hypothèse…
Les gardiens du temple trépignent : pas une note de leur chéri ce soir encore. Une journée sans Berlioz ! Schocking!, s'exclament les Anglais (à leur décharge : sans eux, où en serions-nous par rapport à Hector?)

Il faut attendre le concert du samedi 30, au même endroit… Une autre merveilleuse machine attend le festivalier: le ! Pour beaucoup c'est l'orchestre qui, dirigé naguère par le regretté Colin Davis, apprit Berlioz à toute la France. Le LSO c'est le fleuron de notre discothèque berliozienne. C'est une émotion puissante qui nous étreint d'autant qu'il est dirigé par un autre berliozien : Sir .

Un ouverture parfaite avec le très beau Mer calme et heureux voyage de Mendelssohn (si Berlioz est le Beethoven français, Mendelssohn ne serait-il le Berlioz allemand ?) Le bavard Concerto schumannien pour violoncelle convient parfaitement au jeu très lord Byron (clin d'œil à Berlioz ?) de qui en extrait toute l'intense mélancolie, dans une belle osmose, avec l'orchestre : à plus d'une reprise, on le voit littéralement passer le relais au premier violon. Et enfin ! Berlioz !! Roméo et Juliette !!! On a beau savoir que ce ne seront que les extraits symphoniques (et encore, manque l'ouverture), on ne parvient pas à se satisfaire de la pourtant splendide exécution de Gardiner de cette partition adulée. Timbales précisément serties, Bal chez les Capulets absolument grandiose. Tout cela ne suffit pas. Terminer sur le silence post-pizzicati du Tombeau de Juliette est aux antipodes du sens de l'œuvre. Du coup on chipote : on se dit que les graves berlioziens ne sont pas aussi bien mis en évidence par Sir John que par Sir Colin, ni les harpes… On a beau savoir qu'Hector promenait également son œuvre ainsi pour la faire connaître : on n'en est plus là…

LSO et ONL : Formidables machines, donc, faisant jeu égal au Festival Berlioz 2014. À la révolution industrielle de jadis répond la révolution musicale d'aujourd'hui.

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