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Chamayou-Muraro, un duo visionnaire

Au Théâtre des Champs-Elysées, le coup d'envoi de la quarantième saison des Concerts du dimanche matin est donné. Un duo inédit de pianistes chevronnés, deux œuvres aussi remarquables que dissemblables, un concert concentré et bref, quel meilleur augure peut-on imaginer ?

Réunir deux musiciens qu'une génération sépare est toujours un pari : l'aîné saura-t-il remettre en question les acquis de son expérience, et laisser au cadet la marge d'inventivité dont il a lui aussi besoin pour s'exprimer ? Et le cadet saura-t-il attirer à lui l'attention sans tapage, recueillir un part de l'estime des spectateurs sans faire le cabotin ? Voilà des questions qui bien vite quittent l'esprit, lorsque l'on écoute deux pianistes aussi élégants et accomplis que et . La réponse est nette : oui, l'alchimie entre eux est idéale. Grâce aux regards qu'ils échangent en permanence, leurs modes de jeu, leurs timbres, s'accordent à merveille, et la cohérence, la rigueur du discours qu'ils élaborent pendant les cinquante minutes des Visions de l'Amen leur permet de captiver la salle du TCE, dont l'avant-gardisme n'est pourtant pas la qualité première.

Dans Mozart comme dans Messiaen, Muraro abandonne à son jeune confrère la prima parte. C'est un bon choix ; le compositeur des étonnantes Visions précise avoir « confié au premier piano les difficultés rythmiques, les grappes d'accords, tout ce qui est vélocité, charme et qualité de son », et « au deuxième piano la mélodie principale, les éléments thématiques, tout ce qui réclame émotion et puissance ». La maîtrise technique de Chamayou est sans faille (particulièrement dans le redoutable « Amen de la Consommation »), mais il laisse à Muraro, qui connaît cette musique mieux que personne, le soin de la recherche des intonations. Et de fait, les envolées du second piano (dans l' « Amen du désir » ou l' « Amen de l'agonie de Jésus ») sont saisissantes de justesse et de digne retenue ; sensuelles, et non lascives ; poignantes, sans platitude ; elles donnent leur caractère aux diverses pièces, et lorsque le premier piano surcharge d'ornements ces mélodies primaires, ni les interprètes, ni les auditeurs ne se perdent. La grâce, peut-être surnaturelle, est à l'œuvre : interprétée de cette manière, la musique de Messiaen, avec les constantes qu'on lui connaît (l'obsession pour les chants d'oiseaux, les lignes alanguies et extatiques, les danses furieuses en rythmes scandés), produit véritablement l'exaltation.

Crédit photographique : (à g.) et © Édouard Brane

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